21 - Le bruit des cloches

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- Théodor, suis-je obligée de prêter allégeance à la reine Kalypso et au prince ? Enfin, je veux dire, suis-je obligée de respecter ce serment ?

Théodor Ara et Électra étaient assis côte à côte dans le carrosse attelé à deux beaux étalons blancs qui les conduisait au Palais royal. La jeune femme s'était faite dorlotée durant près de trois heures par des domestiques, couverte de poudre et de parfums floraux qui la faisaient éternuer. Elles s'occupèrent aussi de ses cheveux abîmés qu'elles coiffèrent de sorte qu'ils encadrent son visage de jolies boucles châtains.
Bien entendu, il fallait aussi l'habiller pour l'occasion. Les domestiques prirent l'initiative avec l'accord d'Électra, qui n'était pas du tout familière avec ce genre de vêtements, et la vêtirent d'une élégante robe bouffante aux teintes lilas, ni trop extravagante ni trop ordinaire. Les volants de dentelle qui enjolivaient ses jupons semblaient si fins qu'on les aurait dit transparents.

Électra ne prit pas vraiment de plaisir à entrer dans sa vie de marquise, car toutes ces préoccupations d'ordre superficiel lui prenaient beaucoup de temps et d'attention. Pourtant, M. Ara avait insisté pour qu'elle soit rendue attrayante, et ce dans la mesure du possible, car c'est là l'une des premières armes des dames de la Cour.

- C'est le principe d'un serment, répondit Théodor Ara, mais rien ne vous empêche de le rompre lorsque bon vous semblera. Je vous conseille tout de même de faire profil bas les premières semaines pour ne pas attirer les soupçons. Il est déjà assez suspect que la soeur du marquis de Saul se retrouve à la Cour...

- Personne n'est au courant de la condamnation à mort de mon frère ?

- Non, pas même au palais. Je suppose que la Couronne a bien étouffé l'affaire.

Électra repensait au prince et à son visage impassible. Au même moment, le carrosse tournait et empruntait l'avenue principale du district académique.

- Je ne comprends toujours pas pourquoi il voulait le tuer, souffla t-elle. Et ce que je comprends encore moins, ce sont toutes ces personnes que j'ai rencontrées qui m'ont toutes dit de ne plus me fier à ce que je connaissais de lui...Je sais bien que Mikhaïl n'était pas quelqu'un de mauvais ! mais peut-être avait-il véritablement changé durant son absence.

M. Ara demeura silencieux.

- Bien sûr, cela n'empêche pas que je souhaite toujours le venger, continua Électra avec empressement. Le prince paiera quoi qu'il en coûte, et avec les dernières nouvelles venues d'Osphariel, cela donnera certainement un coup de pouce à l'Arkaniel.

- L'Arkaniel ? répéta le major. C'est ainsi que vous l'appelez, au Sud ?

- Pas en Cyrianie, mais Raphaël m'a dit qu'on le surnommait ainsi dans son royaume. L'Ange.

Électra se demandait bien ce dont devait penser son interlocuteur du fils de l'Équilibre. Car, quoique motivé par la même haine de la Couronne d'Hydralia, il restait un ensorceleur, et qui sait ce qui adviendrait de ceux-ci une fois la guerre remportée par Osphariel ? S'il s'agissait bien d'un conflit aux termes ultimes, il se pourrait bien que la sorcellerie soit bannie à tout jamais du Continent et que, par conséquent, M. Ara se retrouve dans une position délicate. Les magiciens peuvent-ils également priver un ensorceleur de ses pouvoirs, comme l'a fait cet homme avec Raphaël ? Ou serait-ce l'Équilibre qui s'en chargerait ? La prophétie donnait le modèle, non pas les pièces du puzzle. Par quelle fin se conclurait cette guerre à venir, personne ne pouvait le savoir, pas même les clairvoyants.

Tandis que la voiture s'approchait progressivement de la citadelle royale au pas cadencé des chevaux, Électra regardait de temps à autre à travers la portière vitrée. Les immeubles luxueux et les ateliers de couture défilaient ; un monde aisé s'activait, et plus le Palais royal devenait imposant, plus le nombre de soldats augmentait. Ces derniers jours, on racontait que les attaques de démons avaient considérablement croît et n'épargnaient guère les nobles. Plus que jamais, on craignait de sortir la nuit tombée de peur de faire une mauvaise rencontre. La barrière s'affaiblissait continuellement et le danger était dorénavant partout, tapis dans les ténèbres et dans les souterrains de Desmarid. Il fallait donc redoubler de vigilance et il semblerait que le seul lieu sûr soit la citadelle des souverains, surprotégée par une horde de gardes et par ses habitants eux-mêmes.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant