Le Cygne Noir

2 - Le retour du prince

- Thé à la menthe ? devina Dorothea.

- Oui, madame, acquiesça Astrid avec un grand sourire. Il vient des Archipels. N'hésitez-pas si vous en voulez de nouveau !

- Je n'y manquerai pas.

Une fois seules, Électra s'installa en face de son ancienne mentor, presque mal à l'aise. Elle se souvenait des heures d'entraînement jusqu'à la tombée de la nuit, des cris, de cette douleur lancinante qui lui perforait les muscles...Tous ces mois pour se perfectionner et faire d'elle une véritable épéiste. Cela semblait si lointain.

- Je voulais prendre de tes nouvelles, Électra, dit Dorothea en sirotant son thé. Je m'excuse d'être arrivée un peu à l'improviste mais la pluie m'a pris de court et il n'y aucune auberge aux alentours. Ah ! j'ai vu que les rumeurs étaient vraies...Tous ces dispositifs anti-démons, c'est bien ton idée ?

Électra ne répondit pas. Dorothea rit. Des fossettes apparurent sur son visage solaire sur lequel la vieillesse prenait de plus en plus ses marques.

- Tu n'es toujours pas très bavarde à ce que je vois ! s'exclama t-elle. Je voulais simplement te féliciter. Tout est beaucoup plus calme ici que dans le reste du royaume. Les paysans doivent sûrement dormir plus paisiblement.

- Ce n'est pas par bonne volonté que je fais cela, répliqua Électra. Je ne fais que respecter ma part du marché.

- Ah, bien sûr...Le marché.

Dorothea finit son thé d'une traite et se mit à ressasser d'une voix mélancolique :

- Après le bal du Cygne, le ban du roi a été rassemblé et l'armée a quitté les frontières du royaume pour aller affronter le fils de l'Équilibre. Toi à ce moment-là, tu ne savais plus quoi faire ni où demeurer. La reine Kalypso t'as alors proposé un marché : puisque tu aurais sans doute été emprisonnée pour avoir aidé à l'évasion de ce jeune homme qui avait mutilé un garde, la reine t'as demandé de t'exiler à La Volière en échange d'une absence de condamnation et des études pratiques concernant les créatures démoniaques. Là, si tu réussissais à pacifier la région et à donner suffisamment d'informations utiles à la Couronne, un décret royal te permettrais de revenir à Desmarid, blanchie et honorée par Sa Grâce Elle-même.

Électra ne put s'empêcher de sourire en entendant ce récit.

- Qu'y a-t-il de si drôle ? demanda Dorothea.

- J'avais oublié la dernière partie. Je ne compte pas revenir à Desmarid.

- Pourquoi donc ? Cela me semble pourtant intéressant. Ce château est bien austère et la vie ici est très humble. Cela fait déjà trois ans que tu t'es réfugiée entre ces murs...Ton travail a été fait.

Il est vrai qu'on ne pouvait comparer La Volière avec la richesse et le confort du Palais royal. Même les chambres occupées par les marmitons pourraient passer pour celle de la marquise dans cette antre sombre et glaciale durant l'hiver. Une odeur pestilentielle flottait aux environs à cause des marais. Le soleil et le ciel bleu étaient quasiment introuvables. Aucune fête, aucun fiacre, aucune musique dans l'air. C'était là un lieu aussi déprimant que ennuyeux, mais Électra s'y plaisait.

- Jamais je ne pourrais revenir là-bas, dit-elle. Ma place est ici, dorénavant. Je ne prends pas cela pour un exil. La proposition de la reine est très généreuse mais je continuerai à vivre dans ce château autant que je le pourrai. Jusqu'à ce que qu'il ne reste plus aucun démon de vivant.

Ils sont devenus ma seule raison de vivre, ironiquement, pensa la jeune femme. Je ne vis que pour tuer ces créatures. Triste vie.

- Oublions ces démons pour le moment, qu'est-ce qui te retiens ici ? Tu es encore jeune, Électra. La guerre est terminée. Il n'y a rien qui puisse te pousser à passer le restant de tes jours dans ce pays !