30 - Peur

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Kalypso marchait seule dans les immenses corridors des appartements royaux.
Situés dans la dernière enceinte de la citadelle, ils formaient son donjon central, relié à de multiples tourelles par un ingénieux système de passerelles mouvantes. Sur son passage, les domestiques et gardes s'inclinèrent bien bas, toujours troublés par la majesté de la reine d'Hydralia. Il est vrai que Kalypso ne pouvait laisser personne indifférent ; partout où elle allait, même les profanes pouvaient sentir la puissance de son essence magique. Elle était comme un incendie permanent, flamboyant et fier à la fois. Mais si Kalypso se trouvait être souveraine, elle était également une épouse.

Dans un angle surveillé par toute une rangée de soldats et d'ensorceleurs encapuchonnés, la dame tourna et fut autorisée à pénétrer dans la chambre du roi.
C'était une pièce aux opposés de son occupant : belle et chaleureuse, l'âtre y crépitait à longueur de journée, répandant une chaleur insoutenable, surtout en plein été. Sur le grand lit à baldaquin, allongé sur d'épaisses et innombrables couches de fourrures d'ours, se trouvait le roi Adorjan. Délaissé de son fauteuil roulant, les deux moignons qui lui servaient de jambes l'empêchaient de se tenir droit ; ainsi, une pile d'oreillers lui soutenait le dos en position assise, stoïque, ne daignant adresser un regard à sa femme.

- Avez-vous encore mal, Votre Majesté ? s'enquit Kalypso en approchant.

Adorjan, qui semblait assoupi les yeux ouverts, répondit après un instant :

- Oui, mais c'est largement supportable.

- Permettez-moi de vous soulager...

La reine s'agenouilla auprès de lui et posa ses mains au-dessus de son torse. Cela faisait une semaine que le roi souffrait d'une douleur cinglante au niveau du coeur ; les médecins s'étaient au début affolés avant de décréter qu'il ne s'agissait que d'élancements passagers. Hélas, Adorjan était déjà faible, et ces maux ne le faisaient en rien se sentir mieux. Kalypso prononça tout bas une formule qui pouvait sonner comme une tendre berceuse et une chaleur apaisante se répandit dans le corps de Sa Majesté.
La reine savait se servir du pouvoir du feu comme personne dans le royaume. Elle en avait fait sa spécialité car, si il pouvait se révéler très utile comme arme, le feu était aussi guérisseur.

Quand elle eut terminé, Kalypso se releva et s'assit sur un fauteuil, à droite du lit. Adorjan prit la parole avec désinvolture :

- Alors, prends t-il toujours autant à coeur cette traque aux démons ? Les domestiques ne font qu'en parler depuis quelques jours, c'est diablement agaçant.

- Vous ne l'appelerez donc jamais par son prénom ? souffla Kalypso.

Le roi sourit à travers sa barbe grisonnante et cracha comme une insulte :

- Soren.

Il eut un rictus.

- Oui, je parle de Soren, ma douce...Notre cher fils.

- La guilde de Dorothea est rassemblée au complet sous nos murs, dit-elle. Il compte également faire appel à des ensorceleurs volontaires de Desmarid, ainsi qu'aux nobles de la Cour qui souhaiteraient prêter main-forte.

- Il est bien naïf de croire que ces couards seraient prêts à se sacrifier pour défendre les habitants de la ville !

Le roi avait raison : la plupart des courtisans n'avaient que faire du sort tragique de certains sujets, fauchés par des démons la nuit tombée. Ce n'était pas leur problème. Kalypso répliqua :

- C'est ce qu'il dit...Mais au vue de la tournure des événements, je ne pense pas que le terme de " souhait " fasse encore partie des conditions requises. Laissez-moi parier que Soren les obligera à participer à la traque sous peine de parjure.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant