4 - Coeur battant

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Électra passa la matinée à galoper à travers les champs de maïs abandonnés. C'était devenu une habitude lorsqu'elle éprouvait le besoin de réfléchir en toute solitude. Au milieu de ces plaines d'une teinte de vieil or qui se ternissait sous l'assaut de la pluie, la jeune femme se livrait à des réflexions concernant presque toujours ses devoirs de chasseresse et de marquise. Pourtant, aujourd'hui, toute son attention se portait sur son nouvel invité : le prince Soren.

Pour des raisons qu'elle ignorait elle-même, Électra s'était refusée le droit de lui accorder une entrevue depuis son arrivée à La Volière, il y a plus d'une semaine. Était-ce une preuve d'arrogance ou de pure appréhension ? Quoiqu'il en soit, cet évitement attisait la curiosité des autres résidents du château, à commencer par Astrid qui ne cessait de réclamer des précisions sur l'identité de cet homme en fauteuil roulant qui passait ses journées à contempler l'horizon depuis une fenêtre.
Électra avait préféré ne pas répondre à ses requêtes, ne sachant comment Astrid, et donc les chasseurs, réagiraient en apprenant que le prince se trouvait ici.

Mal, pensa t-elle. Mais un secret tel ne saurait être gardé très longtemps. Dorothea ne m'a rien dit à ce sujet. Je devrais lui envoyer une lettre. Seulement, n'était-ce pas là aussi un risque de plus ? Pire encore, elle n'avait pas la moindre idée de où pouvait bien être la mercenaire et sa guilde. Électra s'en trouva bien irritée. Dorothea, mais aussi la reine, la laissait dans une situation extrêmement délicate...
La jeune femme finit par mettre fin aux indécisions et reprit le chemin du château lorsqu'un fin voile brumeux commença à tomber du ciel. Cela annonçait éminemment une averse, dans le pays.

En regagnant La Volière, elle fut accueillie par quelques servantes qui nourrissaient les oies et un groupe de soldats. Tous lui lançèrent de grands sourires. C'était là aussi devenu une habitude dont Électra avait eu beaucoup de mal à s'y faire.
À Desmarid, Électra était longtemps restée sous les foudres des courtisans qui la traitèrent de tous les noms sous prétexte qu'elle était originaire d'un royaume sudiste. Cela avait été également le cas ici. La méfiance, les regards noirs, les silences tendus...La jeune femme les avait tous vécus à La Volière. Seulement, elle leur avait prouvé sa valeur et sa volonté en les débarrassant de leurs ennemis communs et s'était révélée être une bonne gouverneuse. Électra se disait souvent que c'était une chose bien étrange que d'être appréciée.

Après s'être changée, la marquise fila jusqu'au salon privé qu'occupait habituellement le prince. Que dire après tant de changements ? se demanda t-elle avant d'entrer. C'est tellement soudain. Elle ouvrit la porte et, Électra ne sut pourquoi, un flot d'émotions la saisit lorsqu'elle le reconnut. Même sans sa tresse, ses habits sombres et sa prestance de prince, elle pouvait retrouver le jeune homme qu'elle avait quitté au bal du Cygne.

- Il pleut souvent, par ici, commenta t-il.

D'après Astrid, le prince n'adressait même pas la parole aux domestiques. Il conversait uniquement avec les deux individus qui l'avaient accompagné jusqu'au château, c'est-à-dire un garde personnel et un guérisseur recommandé par l'hospice du professeur Waltz.

- Hier, déjà. Et aujourd'hui. Puis demain, sans doute.

Soren comptait sur ses doigts en parlant. Sa voix, douce dans les souvenirs d'Électra, n'avait pas changé. En observant les mains du prince, elle se rendit compte qu'il saignait au niveau des phalanges. Des filets vermeilles s'en écoulaient doucement jusqu'à former une impressionnante flaque de sang sur le parquet. Électra accourut, paniquée, mais Soren l'arrêta :

- Regardez bien.

- Regarder quoi ? répliqua t-elle. Ne bougez pas ! Je vais appeler le guérisseur, il faut qu'on vous soigne et-

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant