22 - Le jasmin et la mer

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Le lendemain matin, la camériste fut étonnée de voir Électra réveillée et habillée alors même que l'aurore pointait le bout de son nez.
La jeune femme avait de nouveau enfilé la robe couleur lilas qu'elle avait portée la veille sans vraiment y réfléchir, mais d'après la domestique, une tenue moins encombrante lui irait mieux, surtout en un jour aussi ensoleillé où la température pouvait grimper rapidement.

Électra se laissa faire, passive et absente. Alors qu'on la coiffait et la frottait avec un tissu plongé durant de longues heures dans des fragrances légères, elle fixait par le carreau les ruines du district abandonné. Ce quartier de taille moindre avait été autrefois le centre religieux de Desmarid, fait principalement de temples consacrés au culte de l'Équilibre. Mais au fil des années, le nombre de croyants baissa en vue des directions que prenaient les adeptes du Sud dont les prières adressées à la déesse étaient des odes à la destruction d'Hydralia. On se posait des questions sur la bonne utilité de vénérer l'Équilibre si Elle allait apparemment se retourner contre eux, pauvres citoyens des contrées du Nord.

Ainsi, presque naturellement, cette partie de la capitale fut délaissée. Plus de rituels sacrés, plus de prières de rues, plus de pèlerinages ni de processions au flambeau. Dorénavant, seuls les vagabonds et les vilains dormaient entre les ruines des anciens temples, amis de la poussière et de l'oubli.

En Cyrianie, le maire du village accordait une grande importance à l'entretien du petit temple local où Électra s'était parfois rendue, plus jeune, accompagnée de Mikhaïl et de leur père. Il était construit en bois, modeste pour une ville en pleine expansion et bien trop exiguë pour le nombre de fidèles qui y priaient chaque jour. Le prêtre historique qui dirigeait chaque cérémonie était le frère cadet de Mme. De Lach. Il fut le premier à l'insulter elle, Électra, après le départ de Mikhaïl. Il disait qu'elle devait être bannie du temple pour payer les péchés ignobles de son frère. Cet homme avait pourtant été bon avec eux, avant, et plein de générosité et de dévotion à la déesse.

Électra fut extirpée de ses pensées quand un ruban tira brusquement ses cheveux, ajoutant, d'après les mots de la domestique chargée de sa coiffure, une touche élégante à sa tenue beaucoup plus simple que la précédente. La jeune marquise la remercia et prit son petit-déjeuner au bord du lit. Elle picora dans son assiette, telle un oiseau malade, peu habituée à manger le matin. On lui avait servi ce qui ressemblait à de la gelée de fruits rouges, du lait frais infusé à l'anis ainsi que des gâteaux secs tout à fait exquis. Électra se gronda de savourer ces mets, mais son estomac criait famine. Elle finit donc par dévorer son repas d'une traite avant de quitter ses appartements.

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Électra n'avait encore reçu aucune instruction particulière de la part de sa gouvernante ou de l'intendant royal car, en dépit du calme relatif dans lequel elle s'était installée au palais, il semblerait qu'un bon nombre d'invités était attendu à l'occasion des préparatifs du bal du Cygne. Ainsi, la Cour se remplissait petit à petit et ce microcosme d'élite se recomposait naturellement.

Pour tuer le temps, Électra décida d'arpenter la citadelle jusqu'où son ennui la mènerait. Dans un aussi grand palais, il était très facile de se perdre. Heureusement pour elle, Électra était dotée d'un assez bon sens de l'orientation.
Le soleil était désormais haut dans le ciel quand elle fit demi-tour, s'étant faite bloquée le passage par une lignée de gardes aux écussons d'or. De ce qu'elle avait compris, cette partie de la citadelle était uniquement réservée à la famille royale. Il était formellement défendu que quelqu'un d'autre n'y pénètre, et encore moins une courtisane aussi insignifiante qu'elle. Électra rebroussa donc chemin et finit par passer par l'un des beaux jardins luxuriants que gardait jalousement le palais. Le contraste entre la pierre noire et la verdure des plantes grimpantes et des petits arbres fruitiers la laissa admirative. Tout est si paisible, ici..., pensa t-elle. C'est rare.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant