17 - Les devoirs d'un héritier

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      Il était toujours normal pour un prince de se préparer avec plus ou moins de réussite à son destin de roi. Mais quand l'avenir est si incertain et que les dieux eux-mêmes semblent batailler contre vous, il est alors primordial d'abandonner toute autre conception de son existence exceptée celle dirigée par les intérêts supérieurs du royaume et de l'honneur.

     Quand Soren apprit la mort de son frère aîné dans un tragique accident de navigation, il n'avait que 8 ans. Son père, Sa Majesté le roi Adorjan, l'a longtemps pleuré et avait crié à l'horreur en comprenant que ce serait lui, Soren, qui deviendrait roi. Il avait toujours été ainsi. Depuis sa plus tendre enfance, son père ne lui avait jamais adressé ne serait-ce qu'une seule fois une marque d'affection. Sa mère, la reine Kalypso, lui répétait souvent que ce n'était pas de sa faute, que son père était un homme dur et de nature distante, que c'était dans son caractère. Dur était un euphémisme pour violent, mais Soren avait refusé de s'appitoyer sur son propre sort, et dès le plus jeune âge, avait accepté d'être considéré comme un paria par son père et souverain. En fait, il n'avait pas vraiment eu d'autres choix.

     C'était durant ces nuits où le sommeil n'arrivait pas à l'emporter que ces pensées venaient tracasser le prince. Il était fatigué, et ses paupières ne demandaient qu'à se fermer pour se rouvrir à l'aube, sous un soleil rouge, mais son esprit, lui, bouillonnait. Finalement, il se résolut à se lever et enfila une chemise avant de se diriger vers la porte-fenêtre qui donnait sur le balcon.
En ouvrant le battant, un vent glacé pénétra dans la pièce et le fit légèrement frissonner. Il est vrai que, dû à la hauteur des tourelles de la citadelle, il n'était jamais à l'abri des bourrasques venues du Nord qui soufflaient en continu. Malgré tout, le froid lui remit un peu les idées au clair et Soren s'appuya sur la rambarde du balcon en inspirant profondément, puis soupira. Que la cité est belle vue d'ici, pensa t-il. Son regard parcourut l'étendue sombre aux multiples lumières qui allait du pied de la colline jusqu'aux remparts perdus dans le lointain. La ville avait l'air imprenable, ainsi.

       Le prince resta sur ce balcon durant quelques minutes, observant l'horizon encore plongé dans une obscurité partielle, avant de retourner dans sa chambre. Le sommeil ne lui venait toujours pas mais il avait au moins eu le temps de se reposer l'esprit.
Les moments comme ceux-là étaient bien rares. Il les comptait sur les doigts de la main depuis le début de l'année. Il pensa aux malheurs qui arriveraient bientôt, à la guerre qui se profilait au Sud, au bal...et surtout à Mikhaïl Saul, dont le corps reposait dans les souterrains du Palais royal dans un cercueil méticuleusement scellé par un sortilège d'emprisonnement.

Depuis que sa soeur était venue le voir, la veille, il ne quittait plus ses pensées. Il se demandait s'il ne s'était pas trompé, pour la première fois. Si ses pouvoirs ne lui avaient pas failli. Et avec le nombre de démons qui ne faisait qu'augmenter aux portes de Desmarid même après sa mort, il aurait été possible que ce marquis n'ait été qu'un leurre. Mais il ne pouvait oublier leur rencontre et la myriade de sensations infâmes qui avait parcouru son corps dès qu'il fut près de lui...
Non, il ne pouvait s'être trompé : Soren avait bien vu le Mal en Mikhaïl Saul.
Un Mal ancien, plus dangereux que n'importe quelle guerre, et c'était un bien terrible présage pour le Continent tout entier.

     Quand le soleil se leva, le majordome frappa à sa porte. Soren n'avait pas dormi de la nuit. Il l'accueillit avec courtoisie, mais l'homme semblait préoccupé.

- Votre Altesse, dit-il, une missive de notre source située en Osphariel vient d'arriver.

- Apportez-la moi, je vous prie.

Le majordome revint quelques instants plus tard, ladite lettre en main. Il la tendit au prince et se retira respectueusement, le temps qu'il en prenne connaissance. Cela fait, il le rappela dans sa chambre et sur un ton qu'il voulut léger, Soren lui lança :

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant