22 - Des corbeaux et des colombes

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À l'aube, le jour suivant, les chasseurs se réunirent en cercle autour du feu, dévisageant leurs deux prisonniers avec dégoût. Le prêtre du Temple avait vu ses habits religieux salis par la boue, lui conférant une apparence dépravée indigne de son rang. Raphaël, lui, fils de comte, ne bougeait plus. Il était à genoux, son masque remis en place, les bras ligotés à défaut de pouvoir lui entraver les mains. Il fixait le vide devant lui.

- On ne peut pas les emmener avec nous jusqu'à La Volière, dit Akira. Votre Majesté, que doit-on faire d'eux ? On pourrait simplement s'en débarasser. Ça serait venger la reine.

Le docteur Lasimov lui donna un coup de coude et le jeune homme baissa le tête.
Cet homme a été cher aux yeux d'Électra, à un moment, pensa Soren. Était-il donc si spécial que cela ? Il semble avoir tout perdu, dorénavant. Le prince lança un regard soucieux à la marquise qui déclara :

- Ne pensez pas à moi. Je n'ai plus rien à voir avec lui...Même si je l'ai sauvé, hier. Je ne sais pas si c'était le bon choix.

- Ce qui a été fait est irrémédiable, répondit Soren. Vous avez décidé de lui donner une chance de survivre malgré les crimes qu'il projetait de commettre.

- J'ai failli, Votre Altesse. Pardonnez-moi.

Électra paraissait profondément honteuse. Elle maudissait ce geste impulsif, cette sensation si étrange lorsqu'elle reconnut le visage défiguré de Raphaël et ce désespoir qui l'assombrissait. Peut-être était-elle devenue trop sensible, après tout...

- Néanmoins, je ne peux pas le tuer, continua Soren. Je n'en ai pas l'intention, d'ailleurs. Mais c'est un homme dangereux, tout comme ce prêtre, il est donc important de les renvoyer dans un lieu sûr le temps de déterminer leur châtiment.

- Vous voulez les remettre dans les cachots royaux ? demanda Lasimov.

- C'est ma seule solution pour le moment. Desmarid est à un jour à cheval, ce n'est pas très long. Docteur, prenez deux chasseurs avec vous et retournez en ville. Vous pourrez délivrer ce message à l'intendant Kahn qui le donnera au roi. Partez maintenant.

- Bien. Nous reviendrons dès que possible.

En entendant ces paroles, Raphaël redressa subitement la tête, les yeux fous. Il tenta de se dégager quand les chasseurs se saisirent de lui, et le capitaine Harris finit par lui asséner un coup de poing pour le calmer.
Électra comprenait pourquoi Raphaël paniquait autant à l'entente des cachots : il s'agissait du lieu où son calvaire avait commencé, ensorcelé par Théodor Ara.
Quand les montures et leurs cavaliers finirent par disparaître dans la forêt, un vide flottait sur le camp. Les événements de la veille les avaient bien secoués.

- Vous le reverrez, dit Soren à Électra. Je suis certain qu'on ne l'exécutera pas immédiatement.

- Ce n'est pas très rassurant, à vrai dire, mais je vous l'ai dit, je me fiche de ce qui peut bien lui arriver.

- Votre expression me dit le contraire.

La marquise tourna les talons.

- C'est de la pitié que j'ai pour lui, siffla t-elle avec froideur. Uniquement de la pitié.

Les jours passèrent rapidement, après. Bientôt, Desmarid n'était plus qu'un souvenir lointain tandis qu'ils sillonnaient le pays, de retour sur leurs pas. Des campagnes abandonnées et des villages meurtris les saluaient sur leur chemin, et il semblait que ce vide ambiant résonnait dans leurs coeurs.
Lors d'une nuit de tempête, Électra fut la première à sentir des créatures rôder aux alentours, masquant leur présence grâce à la pluie.
Elle saisit son épée et fit signe aux chasseurs de se préparer au combat. L'orage grondait dans le ciel, déchirait la nuit d'éclairs aveuglants et noyait tous les sons.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant