26 - Habitudes et changements

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- Ici, personne ne devrait nous entendre..., murmura t-elle.

Électra guida Telmaz, ou plutôt Raphaël, jusqu'au recoin le plus isolé du jardin situé au milieu du cloître dont elle s'était faite une habituée. Elle l'obligea à s'asseoir sur un banc rouillé où le lierre serpentait entre les arabesques de fer.
Raphaël était étrangement charmé par l'atmosphère bucolique de cette partie de la citadelle, amplifiée grâce aux éclaircies d'après-midi et à l'air chaud qui soufflait. Mais dès que cette pensée l'effleura, il la chassa ; les arbres fruitiers et les parterres de fleurs lui rappelant l'immense domaine des d'Asthamos où une grande partie de ses malheurs avait pris forme.

Électra s'assit à son tour. Cela faisait peut-être une semaine ou plus mais elle avait l'impression que Raphaël était sorti de sa vie depuis des siècles. Il lui avait expliqué les complications rencontrées par rapport à son entrée à la Cour comme simple homme d'armes au service de la marquise de Saul, déguisé comme l'un de ces élégants damoiseaux qui flânaient près des appartements nobles du palais. Raphaël était méconnaissable pour quelqu'un qui ne l'avait vu qu'une fois, mais Électra le connaissait si bien qu'il était impossible qu'elle ne le manqua, hier, lors de son altercation avec M. Rei. Elle ne savait pas si elle était heureuse de le revoir ou non.

- M. Ara vous a donc complètement transformé, déclara Électra en le dévisageant. Seuls vos yeux restent intacts...

Ces détails étaient difficiles à repérer au premier abord, mais la métamorphose de Raphaël ne passa pas que par la couleur de sa chevelure mais également par la teinte désormais ivoire de sa peau, ses traits plus anguleux, ses épaules moins imposantes, et la disparition soudaine de son accent osphar...Ces modifications physiques que l'on pourrait croire minimes ou superficielles le rendaient crédible, d'une apparence hydralienne presque aussi vraie que nature. Il fallait avouer que les pouvoirs de Théodor Ara étaient impressionnants.

- Je pourrais dire la même chose de vous, Électra, répliqua Raphaël. Vous voir habillée de cette façon, telle une véritable marquise, est assez déroutant.

- J'aurais moi aussi préféré que M. Ara me métamorphose...Je suis ridicule dans ces vêtements.

- Les guenilles vous allaient mieux, je dois bien l'avouer, répondit-il d'un ton ironique.

Électra disait se trouver ridicule ainsi, mais au fond d'elle, elle ne se voyait plus échanger sa nouvelle garde-robe pour l'ancienne, uniquement composée de cette fichue robe bleue qui portait toutes les séquelles de son passé, au village. Elle ne souhaitait plus jamais la reporter. Avec ces vêtements, elle arrivait presque à se trouver belle.
Presque...
La jeune femme repensa à M. Rei et à comment, avec spontanéité et désinvolture, il avait souligné sa laideur devant les autres novices. Électra sentit son coeur se serrer, rien qu'un peu, en se repassant la scène, et elle s'en voulut car un homme comme lui méritait tout sauf son attention. Tout de même...suis-je si laide qu'il le dit ? se demanda t-elle. Pourquoi ce corps est-il si repoussant face à un miroir, ou est-ce ma seule perception ? Je ne comprends pas.

- Vous avez raison. Les guenilles m'allaient bien mieux que ces tissus précieux.

Raphaël eut la présence d'esprit de remarquer la mine blessée qu'elle tentait de cacher en détournant le regard. Il dit doucement :

- Je disais cela pour plaisanter, Électra...Vous êtes splendide. Cette robe vous va à ravir.

- Essayez de faire mieux. Plus d'entrain et de sincérité.

Le jeune homme parut déconcerté. Il eut un rire nerveux.

- Que voulez-vous dire par là ?

Électra le regarda droit dans les yeux, et Raphaël aurait largement préféré qu'ils lui lancent des éclairs, telle une furie, puisqu'il était évident qu'elle était en colère. Seulement, la jeune femme le fixait d'un oeil absent. Sans vie. Presque ennuyée par la situation.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant