31 - Vertigo

1 0 0
                                    


En commençant leur ascension, Électra n'aurait pas pu imaginer à quel point elle allait être éprouvante.
Les premiers jours furent paisibles et ils pouvaient encore se reposer sur la force de leurs chevaux, bien qu'ils ne soient pas habitués à l'altitude et au sol rocheux des montagnes. La végétation était encore dense et ils ne semblaient pas avoir totalement quitté la Forêt blanche, même si l'horizon se faisait de plus en plus vaste et les températures de moins en moins clémentes.

Seulement, ce fut lorsque les pentes se firent trop raides et qu'ils durent donc mettre pied à terre que Électra se rendit compte du danger qui les guettait. Ce n'était pas les démons ou les soldats osphars, mais la Nature elle-même. Aucun d'entre eux n'avait jamais été dans les terres de l'Est, là où les princes vivent perchés au-dessus des nuages sur des sommets vertigineux. L'Arsenal était la plus haute chaîne de montagnes du royaume, et la plus maudite de tout le Continent. Ils venaient sans expérience ni matériel à part des fourrures et quelques réserves de nourriture, ce qui était loin d'être suffisant. Le docteur Lasimov lui-même semblait être pris de court.

- Où allons-nous, d'ailleurs ? demanda Élisane, l'élémentaire du vent. Vous n'avez pas de cartes.

- Les cartes de l'Arsenal n'existent pas, répondit Soren. Personne n'en est jamais revenu vivant depuis plusieurs millénaires.

Mis à part Mikhaïl..., pensa Électra.

En apprenant cela, Élisane jeta un regard inquiet à Wynn qui se contenta de fixer le ravin qui les menaçait, à quelques pas de leur position. C'était un gouffre titanesque, presque aussi profond que les abîmes. Le groupe fit attention à marcher bien loin de celui-ci, certains n'osant même pas le regarder par vertige. Électra remarqua que la plus jeune académicienne, âgée de treize ans, serrait fort la main d'un garçon plus âgé. Elle se souvenait vaguement de son nom...Meryl, sans doute. Électra la scrutait, le coeur serré, puis Meryl croisa son regard.

Prudemment, elle demanda :

- C'est un violon que vous avez sur le dos, madame ?

- Oui. Il est beau, n'est-ce pas ?

- Beaucoup !

Meryl paraissait ravie.

- Ma mère jouait du violon, et de la flûte aussi. Elle jouait lors des fêtes de la moisson tous les ans. Elle était la meilleure musicienne de tout notre village !

- Ça devait être formidable.

Le lendemain, le ravin était loin derrière eux et la Forêt blanche également. Leur monde n'était plus fait que de roches grises et de restes de neiges gelées. Entourés de sommets, le ciel lui-même paraissait moins vaste. C'était comme s'ils venaient de débarquer sur une autre planète aux paysages inconnus et hostiles.
Même en descendant vers la vallée, le vent était si froid qu'ils devaient parfois s'abriter dans des crevasses en attendant qu'il s'apaise. Ces moments-là duraient des éternités, et ils ne pouvaient se réchauffer que grâce à des petites flammes que généraient les ensorceleurs. Elles brûlaient continuellement et émettaient une chaleur délicate, semblables à des chandelles.

C'est en les voyant recroquevillés sur leur feu que Électra réalisa qu'elle était la seule profane du groupe. Aucune arme ne serait assez efficace pour vaincre la neige. Elle avait l'impression d'être faible, et le froid lui gelant les doigts ne faisait qu'accentuer ce sentiment. La jeune femme soufflait dessus, essayant de les réchauffer, en vain.

- Attendez..., fit Soren.

Le prince, éteignant sa flamme, prit ses mains entre les siennes et les frotta doucement. Électra soupira, soulagée, en sentant sa peau chaude estomper le froid. Ce contact lui rappela l'autre soir, en bas, quand Soren lui avait embrassé la main sans avertissement au préalable. Il devait probablement avoir les mêmes pensées car Électra le vit réprimer un sourire avant qu'ils ne se remettent tous en marche, le vent s'étant enfin calmé.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant