Le Cygne Noir

27 - Le deuil de Rina

Depuis qu'elle l'avait vue pour la dernière fois, Rina ne semblait pas avoir changé. Ses traits harmonieux avaient même embelli et ses cheveux noirs, si brillants, s'accordaient bien à sa robe de deuil.

La veille, Électra et Soren étaient arrivés au domaine de la famille d'Halvar, le grand château de Quatre-Rivières. Celui-ci devait son nom aux nombreux cours d'eau qui irriguaient la région, pourtant éloignée de la mer. L'oiseau envoyé par Soren était bien parvenu à l'archiduc qui apprit la mort soudaine de son fils. Tout le château était plongé dans un silence pesant lorsque le duo franchit le pont qui conduisait directement aux enceintes. Les bannières de l'archiduc étaient en berne, les visages fermés et les regards menaçants. Des gardes se saisirent immédiatement du corps d'Akira pour le mener chez un spécialiste.

Électra rencontra son ancienne amie dans un salon privé, le lendemain matin. Le soleil venait à peine de se lever et faisait fondre le givre qui peignait les fenêtres. En guise de salut, Rina déclara :

- Je n'aurais pas pensé te revoir accompagnée du corps de mon frère, Électra. Sinon, j'aurais préféré t'oublier à jamais.

La marquise s'assit en face de la jeune femme, le menton baissé. Elle ne savait pas comment réagir. Aucune excuse ne serait suffisante pour apaiser la peine de Rina. Électra savait de quoi elle parlait, elle qui avait aussi perdu un frère.
Rina se mordait la lèvre pour ne pas éclater en sanglots. Elle avait déjà pleuré des jours entiers, mais les larmes ne semblaient pas vouloir s'arrêter. La gorge serrée, elle demanda :

- Est-ce qu'il était heureux, au moins, là-bas ?

- Heureux...? répéta Électra d'une voix blanche.

- Est-ce qu'il riait ?...Est-ce qu'il s'est fait des amis ? Est-ce qu'il continuait à casser les pieds au monde entier et à plaisanter sans arrêt ? J'ai l'impression que vingt ans ont passé, depuis. Et maintenant je ne pourrai plus jamais lui reparler. Ça ne semble même pas réel.

- R-Rina, je suis tellement désolée...

La fille de l'archiduc se leva brusquement, une main prête à s'abattre sur Électra qui ne flancha pas. Elle savait que la tristesse de Rina, se muant en colère, devait se déchaîner sur quelqu'un -à raison.

- Vas-y, ne te retiens pas. Je ne t'en voudrai pas.

- Comment ?

La main de la jeune femme tremblait comme une feuille, et elle finit par se rasseoir, haletante.

- J-Je ne sais pas ce qu'il me prend..., murmura Rina. Cela ne changera rien, de toute manière. Akira n'aurait jamais dû mourir, mais c'était son choix de rester à tes côtés pour se battre. Je sais que mes lettres lui parvenaient et qu'il n'y répondait pas, volontairement. C'était sa façon de me dire qu'il avait choisi sa voie et que rien ne saurait le convaincre de faire marche arrière.

Rina ferma les yeux et continua :

- C'est étrange, tu ne trouves pas ? Mourir si jeune, et avec tant de belles choses à accomplir...Les dieux sont si injustes. Mais pourquoi ? Pourquoi si tôt ? Pourquoi lui...

- Il riait, dit Électra. Il s'énervait aussi contre les autres chasseurs, parfois. Il dirigeait sa propre escouade et est devenu un soldat admirable. Il n'y a aucun doute que tu aurais été fière de lui, tout autant qu'il l'était de lui-même, Rina.

- Je sais, mais je n'arrive pas à l'accepter. Je ne sais pas quoi faire...Non, je n'y parviendrai jamais.

Puis Rina se mit à pleurer. Des larmes dévalaient ses joues rouges et venaient s'écraser sur le tapis du salon. La douleur de la jeune femme était insoutenable. Elle transperçait les murs et les vallées, si puissante que Rina semblait s'affaiblir à vue d'oeil. Sans plus réfléchir, Électra se leva et la prit dans ses bras.
Rina s'aggripa à elle comme à une lanterne dans l'obscurité. Elle avait mal, si mal au coeur qu'elle aurait pu mourir elle aussi...