15 - Haine et douceur

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La maison d'Asthamos était une lignée prestigieuse de magiciens et de Chevaliers Ailés. Leur loyauté indéfectible envers la famille royale leur accordait des privilèges de taille, comme le prouvait la place importante de la lieutenante Clarys au sein du cercle fermé de l'Arkaniel. Elle était un pillier et une arme redoutable de la Couronne, tout comme son père, sous-commandant de l'Ordre. Mais la population avait tendance à oublier un autre membre de cette famille qui, pourtant, joua un rôle capitale dans sa récente ascension.

Cet individu avait quitté le pays d'Osphariel il y a plusieurs semaines, flanqué de ses compagnons ; des assassins professionnels, des soldats et un prêtre de l'Équilibre. Ils avaient parcouru l'entièreté des royaumes de l'Ouest, traversant d'immenses forêts de sapins donnant sur l'océan. C'était un périple long mais ces hommes ne connaissaient guère la fatigue. Ils galopaient jour et nuit, récitant les psaumes sacrés et suivant les étoiles qui les guidaient. Tous les osphars savaient lire les constellations.

Durant les rares pauses qu'ils prenaient, leur chef ne dormait pas. Sa figure austère et masquée d'ivoire ingurgitait le zafos, substance magique qui réveillerait les pouvoirs d'un profane mais qui était aussi utilisé comme drogue. L'homme en avait toujours sur lui ; il disait que cela l'aidait à avoir les idées au clair, mais on le soupçonnait d'en prendre par désespoir. Sans le dire, tous savaient ô combien Raphaël d'Asthamos regrettait d'avoir perdu ses capacités de magicien, plus jeune, et comment cet incident alimentait sa haine contre Hydralia.

- Nous partirons à l'aube, dit-il de sa voix rauque. Maintenant prions, mon père.

Le prêtre se leva et tous les autres hommes se mirent à genoux. Au milieu de nulle part, sur cette butte située à la frontière entre l'Ouest et le Nord, le groupe se mit à supplier la déesse de leur faire grâce de ses pouvoirs divins. Le prêtre du Temple chantait haut et fort, les mains levées vers le ciel. Raphaël priait comme les autres, mais il ne savait plus pourquoi. La haine qui brûlait en lui ne semblait plus suffire, elle était comme une prison, mais une prison qu'il avait toujours connu.
Cette fausse main en or était une preuve de haine. Ce masque cachant la moitié de son visage brûlé. Cette expédition secrète pour assassiner le prince Soren également. Peu importe s'il se trouvait en Hydralia ou sur la terre lumineuse de ses ancêtres, seul ce sentiment persistait dans son coeur.

Raphaël espérait avoir vécu une autre vie que celle d'un pion du roi Atlas et des manigances de sa soeur jumelle, mais le destin en avait décidé autrement. Il serait le vengeur de milliers d'osphars tués dans la guerre, un des nouveaux héros du royaume, n'était-ce pas assez ? Même au prix de sa vie, ce sacrifice ne serait qu'une médaille de plus pour la famille d'Asthamos. Son père fier de lui et des foules scandant son nom ; là résidait un rêve à accomplir. C'est peut-être pour cette raison que Raphaël priait la déesse : pour qu'elle lui donne la foi de transformer la haine en gloire.

Le lendemain, le groupe traversa la frontière pour enfin entrevoir les premiers villages hydraliens.
Ces paysages morts, recouverts presque entièrement de forêts et de brousse étaient bien différents de leur terre natale, baignée de soleil et de plaines fleuries. Les compagnons de Raphaël les apercevaient pour la première fois de leur vie, contrairement à lui qui revenait quelques années auparavant dans ce pays maudit. Tout lui était désagréablement familier.

Sous couverture, ils passèrent les palissades du premier village qu'ils virent. C'était un lieu désolé dont les maisons en bois semblaient s'écrouler sous leur propre poids. Il n'y avait presque personne à part des chiens errants. Raphaël ne vit aucun soldat, ce qui était étrange pour un village situé si près de la frontière.

- Fouillez les habitations et prenez ce qui a de la valeur, ordonna t-il à ses hommes. Ne tuez personne.

Le jeune homme n'avait pas de remords à piller des hydraliens, ne serait-ce que par pure cruauté. Malheureusement, il savait que ces logis fantômes ne cacheraient au mieux que quelques meubles et des habits, soit rien de très intéressant.
Raphaël poursuivit sa visite en se rendant sur la place centrale où trônait un pauvre puits asséché et une statue d'un ancien héros en train d'abattre un ours féroce. Il trouva également une femme occupée à paqueter une vieille mule. Elle était seule, et lorsqu'elle l'aperçut, l'hydralienne frémit. Raphaël, habitué à ce genre de réactions liées au masque, s'approcha d'elle comme si de rien n'était et dégaina son sabre.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant