6 - Raphaël d'Asthamos

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Il y avait un petit miroir dans le coffre renfermant les biens précieux du capitaine. Herton Lodd, voyant que la jeune femme s'ennuyait à bord alors que le septième jour en mer venait de passer, lui permit d'y jeter un oeil.

Le coffret en acajou ne gardait pas un trésor inestimable semblable à ceux que saisissent les corsaires royaux mais toutes sortes de babioles plus ou moins rares que certains clients échangent contre un voyage sur le Tigre des Mers.
Électra se saisit de la minuscule glace qu'une couche de poussière recouvrait partiellement. Elle avait l'habitude de se regarder dans les carreaux de sa chambre ou au-dessus des grosses flaques d'eau qui naissaient après les averses. Avec ce miroir, elle se voyait enfin réellement -un peu trop, à son goût.

À vrai dire, Électra Saul ne s'était jamais souciée de son apparence, tout simplement parce qu'elle n'en avait ni l'énergie ni l'occasion. En plus, elle s'était enlaidie ; ses longs cheveux châtains paraissaient avoir brûlé sous le soleil, devenant secs et cassants ; son mal de mer impromptu faisait qu'elle était presque toujours jaunâtre ; elle avait un peu maigri, aussi, et semblait flotter dans sa robe bleue. S'il lui était quelquefois arrivé de se trouver jolie, auparavant, ce n'était plus du tout le cas aujourd'hui. Mais pourquoi pensait-elle à cela ? Son esprit se plaisait à divaguer, récemment...
La jeune femme reposa délicatement le miroir dans son coffre et sortit de la cabine en éteignant la chandelle d'un souffle.

Les derniers jours avaient été longs et fatigants. Il lui semblait que le royaume d'Hydralia n'apparaitrait jamais. Pire encore, l'océan était devenu agité et par deux fois le navire traversa une tempête qui manqua de faire passer quelques moussaillons par-dessus bord. Le capitaine Lodd assurait pourtant à ses passagers que tout était sous contrôle, mais lui-même, ce vieux loup de mer, paraissait anxieux et ne lâchait plus son cigare du bec.
Électra passait donc la majorité de son temps enfermée dans sa cabine à lire le livre que lui avait donné Raphaël.

La Sérénade de l'Ange était un ouvrage si connu sur le Continent que son nom était même arrivé aux oreilles des Saul, eux qui n'avaient pourtant pas quitté la Cyrianie depuis plus de quatre générations. Ce poème de plus d'une quarantaine de pages avait été écrit par un anonyme d'Osphariel et contait avec une grâce infinie les aléas de l'amour entre un ange et une mortelle. Les anges faisaient partie intégrante des croyances osphares qui aiment à les associer à des créatures magiques qui existeraient, quelque part, cachées dans les fins fonds de leur pays.
Électra avait appris à lire grâce à son frère qui lui-même l'avait appris de leur mère. C'était une chance pour elle, sachant que peu de gens du commun possédaient cette abilité. Elle en profita donc pour s'attarder sur chaque mot de ce livre dont une espèce d'harmonie pure semblait s'échapper ; chaque syllabe y trouvait parfaitement sa place, faisant aussi bien rire que pleurer le lecteur qui finissait par s'attacher à ces vers et ces protagonistes ailés.

Plus tard dans la journée, à l'heure du dîner, elle rendit le livre à son propriétaire.

- Je n'avais jamais lu un récit aussi beau que celui-ci, avoua t-elle. On dirait presque...un rêve transposé sur du papier.

- Je suis heureux qu'il vous ait plu, répondit Raphaël. Petit, ma mère me le lisait sans arrêt jusqu'au point où je me souviens de tous les vers par coeur...Ce livre n'est-il donc pas populaire en Cyrianie ?

Électra mordit dans son poisson, réfléchissant.

- Assez, si l'on puis dire. Chez moi, seuls les nobles lisent ; les citoyens ordinaires n'ont pas de temps à accorder à cela. Quand on a des champs à labourer, des moutons à surveiller ou des portes à défendre, la lecture ne fait pas partie de nos priorités, je suppose.

- Pourtant, tous les membres de ma famille, par exemple, ont déjà lu la moitié des ouvrages de la bibliothèque publique...C'est bien dommage, alors, et drôlement étonnant ! À croire que les gens de votre pays n'ont que peu d'intérêt à cultiver leur savoir.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant