36 - L'orphelin d'Eshren

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Raphaël regardait les aiguilles de l'horloge tourner depuis bientôt plus de deux heures.
Les feux avaient été éteints pour la nuit et la citadelle royale dormait paisiblement, tout comme la ville entière pour une fois. Plus personne ne se lèverait la peur au ventre, craignant de voir des cadavres joncher les rues de Desmarid. Pour célébrer cette parenthèse de paix, les préparatifs du bal dy Cygne avaient repris de plus belle et on prévoyait de lancer les festivités dès le retour du prince, parti en voyage diplomatique à Eshren.

Raphaël ferma les paupières.
On l'appelait, quelque part. On criait son nom à travers les murs de sa pensée. Le jeune homme se prit la tête entre les mains. Qu'est-ce que c'est ? Qui est là ? se demanda t-il. Il pensa avertir les domestiques mais savait qu'on le prendrait sûrement pour un fou. De plus, il les traitait avec un mépris tel qu'ils ne voudraient sans doute pas lui venir en aide.
Raphaël ! Raphaël ! Raphaël ! hurlait-on.

Il finit par se lever et fut pris de panique : était-ce donc le retour de ses crises ? Elles qui avaient miraculeusement cessé depuis qu'il s'était métamorphosé, le jeune homme vivait avec la peur qu'elles ne reviennent le torturer. On l'appela de plus belle. Il regarda autour de lui : il n'y avait personne.
Raphaël aurait voulu que Électra soit avec lui. Elle saurait poser des mots sur ce qu'il traversait, des paroles sèches et vagues, certes, mais cela l'aurait tout de même aidé.

- Laissez-moi..., supplia t-il. Partez !

Non, Électra n'est plus une alliée, pensa t-il. Elle est devenue l'un d'entre eux. Je ne dois plus lui faire confiance ! LAISSEZ-MOI, DÉSORMAIS ! Puis il se rendit compte que ces voix qui le tourmentaient s'adressaient à lui par son véritable nom et non celui de Telmaz. Seules deux personnes le connaissaient, dans ce pays maudit.

- Ara...Que voulez-vous ? gémit Raphaël. Que faites-vous dans ma tête ?

Il lui suffit alors d'un instant pour comprendre et tandis qu'une partie de lui le poussait à aller se recoucher, son subconscient prit les devants et Raphaël se saisit de son épée avant de quitter ses appartements dans la précipitation.
Il savait ce qu'il devait faire. Théodor Ara venait de le lui rappeler : la salle des Damnés. Les souterrains du palais. C'était là qu'il devait se rendre, et ce au plus vite. L'horloge sonna trois heures. Le fin croissant de lune éclairait timidement les créneaux et mettait en valeur l'architecture étrange de ce palais et ses gargouilles menaçantes.

Raphaël, conduit par ces voix, réussit à éviter les patrouilles nocturnes et à s'orienter dans ce dédale de corridors et de passerelles jusqu'à atteindre un minuscule escalier menant à une grande porte de fer.
Celle-ci était gardée par un homme assoupi sur une chaise de bois, arbalète en main et rapière à la ceinture. L'espace était si étroit que Raphaël devait descendre les marches de profil et sous la lumière d'une seule torche qui fumait comme une vieille cheminée. Regarde, Électra, pensa t-il. Je vais faire ce que tu ne veux plus, traîtresse. Grâce à moi, nous serons vengés.

- Hé, qui va là ? lança le garde en se réveillant d'un seul coup. Qui êtes-vous ici ? Il fait nuit. Tout le monde dort.

Il plissa des yeux pour mieux distinguer Raphaël à travers la pénombre, puis s'immobilisa lorsqu'il vit l'éclat blanc de sa lame.

- Arrêtez-vous ! ordonna t-il. Ne faites plus un pas !

- Je dois entrer, déclara Raphaël d'une voix qui n'était pas la sienne. Ouvrez cette porte.

Le garde s'apprêtait à sonner l'alerte en prenant une corne à ses lèvres mais le jeune homme fut plus rapide et il lui trancha la main d'un coup sec. L'homme était trop choqué pour hurler de douleur et ne fit que fixer Raphaël, totalement terrifié. Une cascade de sang coulait sur le sol humide et le garde finit par perdre connaissance ce qui fit doucement rire Raphaël, ou plutôt Théodor Ara. Il ne lui restait plus qu'à entrer et à trouver la fameuse salle des Damnés.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant