Le Cygne Noir

35 - Une drôle de famille

Pour qu'une réunion de famille soit improvisée de la sorte, c'est que l'heure était grave, très grave.
Soren était assis à sa place habituelle sur la table du conseil. Kalypso, sa mère, se tenait à sa droite et le roi Adorjan avait insisté contre l'avis des médecins pour sortir de ses appartements. On lui avait confectionné un nouveau fauteuil roulant, beaucoup plus maniable et solide que l'ancien, et cela le rendait de bonne humeur. Mais ce n'était pas cette joie soudaine qui déplaisait à Soren...

- Votre Majesté, dit-il d'un ton froid, que fait-elle ici ?

Le roi haussa un sourcil, feignant de ne pas comprendre.

- Explique-toi, je t'en prie.

- Pourquoi cette femme est-elle présente dans cette pièce, lors d'un conseil restreint ? Je ne vous ai fait venir que vous et Sa Grâce la reine.

Soren se tourna vers l'intruse du nom d'Olivia. Elle était une jeune courtisane venue du sud du royaume qui entretenait depuis quelques temps une liaison avec le roi Adorjan.

- Sortez, mademoiselle, ordonna le prince. Vous pouvez retourner dans vos appartements.

- Non, Olivia, reste avec nous, dit Adorjan d'un ton doux. Assieds-toi à côté de moi, veux-tu ? Je suis le roi. Je t'ordonne de ne pas lui obéir.

Kalypso demeurait silencieuse. Au fond d'elle, elle ne supportait plus la vue de cette jeune femme qui se moquait ouvertement d'elle avec ses domestiques, mais elle ne pouvait pas le lui reprocher. Elle était reine. Kalypso n'avait pas de temps à consacrer à ces enfantillages.
Soren, lui aussi, tentait de garder son sang-froid.

- Votre Majesté, messieurs d'Halvar et du Desmond ainsi que les autres conseillers royaux ne sont même pas présents avec nous..., déclara t-il. Je ne vous ai sollicité que-

- Tu n'es pas en droit de solliciter quiconque après être revenu de la traque dans cet état déplorable, hier, le coupa Adorjan. C'était humiliant.

- Votre Majesté ! s'écria Soren.

- Oh, et ne t'en fais pas pour ma douce Olivia. Elle est une petite tête, pas vrai Olivia ? Elle ne dira rien à personne de ton échappée nocturne. Ah, Kalypso, si tu savais comme je l'adore ! Je l'aime comme ma fille et ma maîtresse à la fois. C'est merveilleux ! Que la déesse me bénit ainsi...

- Vous me flattez, Votre Altesse ! gloussa Olivia.

Elle éclata de rire et Adorjan la rejoignit de bon coeur.

- Cessez vos provocations, siffla Soren, le coeur serré en voyant sa mère se décomposer. Ce n'est pas l'endroit ni le moment.

Il s'efforça de respirer un bon coup même si sa douleur au torse le torturait.

- Parle, Soren, l'encouragea calmement Kalypso. Je t'écoute.

Soren soupira puis aborda enfin le sujet fatidique. Le jeune homme leur exposa, au roi, à la reine et par défaut à Olivia, les préparatifs de son voyage tant attendu vers le royaume d'Osphariel. Oswald l'avait grandement aidé à tout organiser et à trouver un intermédiaire venu de l'empire des Archipels, neutre dans le conflit qui opposa les royaumes du Nord à ceux du Sud.
Un contact diplomatique avait été amorcé avec le roi Atlas. Les quelques lettres échangées entre les deux clans avaient abouti à une rencontre prévue à Eshren, à la seule condition que ce ne fut que le prince Soren et une délégation restreinte qui viennent en personne. Le jeune homme savait qu'il n'avait pas d'autre choix que de dire oui car il plaçait beaucoup d'espoirs sur cette entrevue historique.