31 - Le pot-à-la-Cour

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- Comment ?! Le prince demande à ce que toute la Cour participe à la traque démoniaque ?

Les lamentations de Rina d'Halvar retentissaient dans tout le Grand salon, lieu prisé des courtisans qui se réunissaient souvent dans cette somptueuse pièce décorée d'or et de tapisseries pour discuter. La jeune femme n'en croyait pas ses oreilles : elle, se battant contre des démons au prix de sa vie ? Jamais !
Tous les regards se portaient en sa direction, approuvant par des hochements de tête sa prise de position.

- Enfin, regardez mademoiselle de Kasava ! continua t-elle. Elle a failli été tuée par l'une de ces immondes créatures car elle n'a jamais été confrontée à l'une d'elles, auparavant. C'est du suicide !

Neptune, qui était assise sur un fauteuil plus éloigné, prit la parole :

- Certes, mais nous pouvons espérer que les ensorceleurs et les épéistes les moins expérimentés au combat ne seront qu'en défense de la citadelle...Cela n'aurait pas de sens d'en envoyer directement face à des démons sans préparation aucune.

- Son Altesse aurait-Elle perdu la tête...? chuchota un comte à sa voisine.

- Je ne sais pas, mon cher, mais cela m'a tout l'air d'un sursaut de folie ! Qui aurait donc la volonté de se faire tuer au prix de la protection incertaine du peuple ?

Soudain, la porte du Grand salon s'ouvrit et tous crurent qu'il s'agissait du prince Soren, alors ils se turent. Heureusement, ce n'était que l'archiduc d'Halvar, le père de Rina, ainsi qu'un jeune homme aux cheveux sombres.

- Père, vous voilà enfin ! s'écria Rina en se levant. Avez-vous réussi à convaincre le prince d'abandonner son projet ?

- Hélas non, ma fille...Mais comme supposé, nous autres dignes chefs de lignée seront assignés à des zones peu infestées par les créatures tandis que les femmes et les novices au combat resteront au district royal pour défendre le palais en cas de besoin.

- C'était assez logique, déclara Neptune. Je puis vous assurer qu'un diplôme d'ensorceleur ne vaut rien face à un monstre comme il y en aura bientôt par centaines voire milliers à Desmarid...J'en suis la preuve vivante.

La jeune femme ne s'était toujours pas remise de l'attaque de l'Ombre. C'était trop difficile de passer à autre chose quand on crut voir la mort devant soi, incarnée en une forme maléfique et sauvage comme un démon solitaire. Neptune le revoyait dans ses cauchemars, l'étranglant avec ses interminables tentacules et l'aspirant dans des abîmes dont elle ne pourrait jamais ressortir. Le coucher du soleil devenait une peur primaire pour elle, toute secouée en apercevant la lumière baisser et l'obscurité prendre ses droits sur la ville.

Ce qui l'étonnait également était le comportement d'Électra Saul, qui avait elle aussi combattu ce démon et l'avait tué au prix de blessures.
En effet, la marquise semblait au premier abord peu affectée par cette rencontre traumatisante ; elle allait et venait dans les jardins et corridors du palais, dispensée de cours d'épée, et se rendait également à la bibliothèque royale comme si rien ne s'était passé. Toujours sur son visage persistait cette expression froide et blasée. Elle marchait aussi le soir, seule, telle un spectre errant sans but.

Néanmoins, plus Neptune l'observait et passait du temps avec elle, plus elle commençait à la discerner : en réalité, Électra ne comprenait pas. Quoi ? difficile à dire. Mais il y avait un doute, une mésentente au plus profond d'elle qui l'enchaînait. Quelle jeune femme étrange..., pensait souvent Neptune. Pourquoi tant de hargne, de colère et de maîtrise à la fois ? Quelle est donc sa volonté réelle ? Récemment, elle était taraudée par ces interrogations dont les fondements lui restaient eux-mêmes inconnus. Une intuition, probablement. Et un sentiment qui les liait, celui de la redevance ; Neptune se le jura, elle resterait aux côtés d'Électra, et un jour, arriverait à la comprendre en tant que personne mais aussi en tant qu'amie.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant