16 - Odette et Odile

5 0 0
                                    


     Instantanément, la rangée de gardes aux aguets pointa leurs lances en sa direction. Électra recula d'un pas, surprise, mais ce n'était pas de vulgaires armes qui allaient l'empêcher de poursuivre. Dès lors, elle continua avec obstination :

- Je suis venue pour vous demander, Votre Altesse, et avec le seul espoir que vous me répondiez avec sincérité, si vous et votre famille étaient les responsables de la mort de mon frère. Si vous aviez, pour des raisons et par un moyen que j'ignore, provoqué son suicide et emporté son corps. J'ai besoin de le savoir !

Visiblement, plusieurs gardes s'apprêtaient déjà à se saisir d'elle. Toutes les espérances que la jeune femme avait bâties sur cette rencontre s'effondraient sous ses yeux, impuissante. Cependant, une voix interrompit les soldats dans leur lancée.

- Je sais que vous êtes la véritable Électra Saul, déclara t-elle. Si votre souhait demeure inchangé, alors j'accepterais de vous parler.

La voix de l'homme était calme, grave et étrangement douce. Cette douceur n'était pas feinte comme pouvaient le faire certaines personnes pour en amadouer d'autres ; ici, il parlait avec des intonations si naturelles qu'il était impossible qu'elles soient faussées. Électra remarqua également que cette voix était jeune, et en constatant l'expression des gardes qui se figèrent, elle n'eut plus de doute sur l'identité de l'homme qui venait de parler, derrière ce rideau.

- Mademoiselle, j'aimerais vous parler seul à seul.

L'un des gardes sembla presque s'étouffer en entendant cela. Électra elle-même ne comprenait pas la raiqon dd cette exigence, puis elle se rappela que cette conversation était possiblement à caractère confidentiel. Elle comprit aussi que ceci n'était pas une proposition mais un ordre, alors elle se contenta de garder le silence. Son coeur ne décélérait pas. Au contraire, elle le sentait battre fort dans sa poitrine. L'appréhension, la peur et la fièvre en étaient les coupables.
Électra ne le savait pas encore, mais cette rencontre allait la changer à tout jamais.

♤♤♤

       Assis sur un fauteuil trop grand aux accoudoirs sculptés en têtes de cygnes, le prince Soren patientait, irrité mais aussi troublé par ce qu'il venait de se passer.

Le soeur de Mikhaïl Saul ! En voilà une surprise. Bien que le professeur Waltz l'ait informé de la présence de cette femme à Desmarid, il n'en avait guère fait l'une de ses priorités, car malgré tout, il comprenait les sentiments qu'elle pouvait ressentir. Un deuil impromptu et un voile de mystères sous le nez ; et ainsi, elle se retrouvait déjà sur la piste du suicide du marquis de Saul. C'était prévisible. Mais fallait-il vraiment qu'elle survienne maintenant, lors d'une audience ? On ne me laissera donc jamais me reposer, se dit-il lorsque la porte s'ouvrit enfin.

    Devant lui apparut celle qui se présenta sous l'étrange nom d'Électra. Au premier coup d'œil, on voyait qu'elle n'était pas originaire d'Hydralia. Son teint clair n'était pas assez pâle pour une habitante du Nord. Son visage lui paraissait osseux et ses cheveux châtains coupés courts accentuaient la maigreur et la netteté de ses traits. Quant à ses yeux, grands et marrons, ils le dévisageaient comme si elle venait de voir un démon.
Objectivement, Électra n'était pas très belle, et ses vêtements semblables à des guenilles ne la mettaient pas en valeur, mais Soren ne put nier la dignité indescriptible qui animait cette jeune femme, le menton haut malgré l'incertitude et le regard droit quoique plein de doutes.

Elle ne ressemblait pas à une citoyenne d'un royaume du Sud, non plus. Dans son imagination, les femmes venues de ces régions étaient rayonnantes et joyeuses comme un printemps en fleurs, ou du moins, c'était ainsi que les décrivaient les poèmes. Et bien que Soren n'ait plus l'âge de se fier au monde et aux Hommes dépeints par les vers des poètes, il s'en était fait un idéal, une fantaisie bien étrangère à la réalité qui, chaque jour, semblait le rapprocher de la fatalité. Bizarrement, il avait l'impression que cette femme à l'allure triste partageait en partie cette réflexion. Comme lui, elle vivait avec peu d'attentes et sans trop oser le bonheur.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant