41 - Une rose jaune

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Sur le Continent, les semaines qui suivirent l'incident survenu à Eshren furent étonnement calmes. Tous les royaumes, du Nord au Sud, d'Est ou Ouest, se préparaient à la guerre comme on soupirerait de lassitude en concoctant pour la énième fois son plat préféré.

Les gens étant pessimistes de nature, peu de personnes, exceptés les habitants d'Osphariel, ne s'attendaient à ce que ce conflit soit bien différent du dernier. Fils de l'Équilibre ou non, il n'avait même pas réussi à attraper les ensorceleurs hydraliens qu'il avait lui-même invités dans sa forteresse. Là, selon les mauvaises langues, était une preuve de son illégitimité en tant qu'Arkaniel.
Seulement, le roi Atlas, qui accordait beaucoup d'importance à son image publique, décida de se mettre en scène ; habillé comme un simple roturier, il convia ses sujets à l'aider à rebâtir le donjon écroulé comme un souverain dévoué. De ses bras puissants, on l'observait porter pierres et outils, trempé de sueur sous le soleil du Sud.

- Ce désastre est l'œuvre d'un démon déguisé en homme, disait-il, mais grâce à vous et à la protection de la grande déesse, nous vaincrons le Mal pour le remplacer par l'harmonie. Je reconstruirai le Continent comme ce donjon !

Les femmes pleurèrent en entendant de si belles paroles et les hommes l'acclamèrent, heureux de servir un roi si juste et tempéré.
Plus tard, Atlas envoya plusieurs de ses ambassadeurs dans différents royaumes alliés dont celui de Cyrianie. En tant que fidèle à Osphariel, le roi Elis accepta immédiatement la proposition de l'Arkaniel et rassembla son armée. On était bien plus enthousiaste dans ce petit royaume à l'idée d'aller combattre le prince Soren et ses démons. Le village était en ébullition ; nombre de jeunes hommes s'engagèrent spontanément, prenant les armes pour le Bien et contents de mener une guerre qui garantirait enfin une paix tant désirée. C'était une cause noble qui les faisait quitter leurs familles et aller noblement piller des foyers, noblement déchiqueter des corps et noblement se faire éventrer.

Bien loin de là, à la citadelle royale de Desmarid, régnait une toute autre atmosphère. Malgré la tournure dramatique des événements, le retour de la délégation hydralienne et du prince Soren au pays suffirent à ce que la Cour reprenne de ses couleurs. La guerre ? Elle était inévitable. Mais pour le moment, quitte à jouer aux aveugles, le temps était aux festivités. Le bal du Cygne ayant été repoussé de plusieurs mois déjà devait absolument avoir lieu et ce dans les plus brefs délais, ordre de la reine Kalypso.
Cette agitation joyeuse détourna l'attention accordée à la mystérieuse évasion de ce prisonnier royal enfermé dans les cachots du palais. Elle avait tenu en alerte une dizaine de patrouilles durant plus d'une semaine avant que les recherches ne se calment, faute de progrès. Cela arrangeait bien entendu la marquise de Saul. Cependant, un soir, elle reçut la visite imprévue de son amie Neptune.

Après une longue tirade pleine de reproche ponctuée de regards en biais, la jeune femme lança :

- Tu ne peux pas savoir à quel point je suis déçue, Électra...! Je sais bien que tu tenais à ce Telmaz, mais...il a essayé de me tuer.

Électra était assise en face de Neptune, une tasse de thé refroidie dans la main.

- Enfin, dis quelque chose ! Dis-moi que ce n'est pas toi qui l'a aidé à s'évader !

Le silence lui répondit. Qu'est-ce que je peux lui dire, de toute manière ? se demandait-elle. Mieux vaut que je me taise.

- Alors j'en déduis que c'est bien toi..., souffla Neptune en baissant la tête.

- Oui.

Électra ne reconnaissait même plus sa voix. Elle lui semblait étrangère. Rauque et monotone.

- Neptune, tu m'as dit un jour qu'il fallait que nous recherchions le bonheur à tout prix, dit-elle. Mais regarde dans quel état tu te trouves à cause de moi.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant