7 - Rencontre du quatrième type

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Raphaël n'arrivait pas à dormir.
Il cogitait depuis plus de deux heures dans le noir, s'accoutumant au balancement répétitif de la galère qui tanguait au gré des vagues. Au moins, la mer est plutôt calme cette nuit, pensa t-il. Je n'aurais pas supporté une nouvelle tempête...
Il se demandait comment vivait cette pauvre bête qui faisait elle aussi le voyage depuis sa petite écurie, dans la cale destinée aux cordages. Apparemment, il s'agissait de la monture d'Électra. Elle, d'ailleurs, qui occupait la plupart de ses pensées.

Depuis l'autre jour où il lui avait révélé, quoique partiellement, la raison de son périple vers Hydralia, elle lui parlait moins et plus artificiellement, comme si cela l'avait rebuté. Il ne comprenait pas. Il existe des millions de personnes sur ce Continent qui n'ont eux aussi qu'une idée : voir le trône d'Hydralia tomber. Pourquoi semble t-elle si étonnée par mes explications ?

En plus, elle-même paraissait détester le royaume des démons. Ah, les femmes..., soupira t-il en fermant les yeux. Qu'elles sont étranges, parfois.
Il brûlait d'envie lui aussi de connaître les raisons d'Électra à propos de son voyage depuis la Cyrianie, car honnêtement, il ne la croyait pas lorsqu'elle disait que c'était pour rendre visite à un cousin éloigné qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps. Cela ne tenait pas debout et la jeune femme elle-même s'en rendait compte, Raphaël en était convaincu. Alors pourquoi ces cachotteries ?
Après tout, nous ne nous connaissons pas depuis beaucoup de temps, se dit-il. Il est possible qu'elle ne me fasse pas tout à fait confiance, ce qui serait compréhensible. Enfin, pourquoi est-ce que je me soucie de son opinion ? Je ne suis pas là pour plaire à cette femme, mais pour accomplir mon devoir.

La nuit dernière, il avait pris trois gouttes de nectar, c'est-à-dire une goutte de plus que la dose que lui avait toujours conseillée l'apothicaire du Temple, en Osphariel. Ses effets furent immédiats : la douleur était partie et semblerait ne pas revenir de sitôt. Cela le laissait tranquille pour une semaine au moins, un soulagement ! Raphaël était habitué depuis son adolescence au mal qui lui entravait le crâne et qui arrivait aléatoirement, le condamnant à tout supporter grâce à une potion spéciale concoctée par des spécialistes en remèdes magiques du Temple. Ce traitement coûtait cher, mais pour les d'Asthamos, rien ne l'était, même si cela rimait à dépenser de l'argent pour le mal-aimé de la famille.

En repensant à tout cela, il serra les poings. Le jeune homme hésita à reprendre encore du nectar pour se calmer. Non, je dois résister. Nous arrivons très bientôt à destination. Le port sombre et miteux avec ses bateaux aux voiles noires et aux étendards inconnus ; l'odeur de poisson pourri et d'algues toxiques ; le ciel à la teinte éternellement mauve recouvert d'énormes nuages aux allures de montagnes mouvantes ; tout ceci, il se l'imaginait, acculé dans cette obscurité qui l'oppressait.
S'il avait été un véritable d'Asthamos, digne de son rang, il aurait simplement claqué des doigts et la chandelle se serait enflammée, répandant une douce lumière tamisée dans la cabine. Clarys ferait lever le soleil lui-même ! pensa t-il avec rage. Et moi, que puis-je faire ? Je n'ai rien ! RIEN !

Il regardait ses mains dans le noir avec un espoir fou, l'espoir d'un gamin puis d'un jeune homme qui n'arrive toujours pas à accepter la réalité parce qu'elle le blesse, le tiraille et le tue chaque jour.

♤♤♤

- Terre en vue, capitaine ! Je vois le port de Desmarid !

- Matelots, cria Herton Lodd de sa grosse voix, faites le truc !

Et les matelots firent le truc, Électra en fut témoin. Ils s'activaient sur le pont comme des petites fourmis, se croisant, s'échangeant matériel ou ordres, chacun retournant à son poste pour la dernière ligne droite. En effet, cela promettait d'être ardu : le port de la capitale d'Hydralia était visible mais une espèce de pluie tombait entre le navire et lui, une averse étrange qui naissait de ce ciel rougeâtre propre au Nord du Continent. La galère avançait à vive allure sur les vagues qui mordaient la coque et rugissaient comme des bêtes sauvages. Il pleuvait déjà. Électra voulut immédiatement descendre dans la cale pour vérifier si Elis allait bien, mais un marin retint son bras, lui ordonnant de rester ici et de s'accrocher à une corde enroulée autour du plus petit mât.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant