10 - L'Oeil du Roi

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Les petits pas du prince égayaient la forteresse depuis bientôt trois ans au cours desquels la reine s'était occupée de lui avec dévotion.

Plus jeune, elle s'était faite la promesse de ne jamais s'incliner face à plus faible qu'elle. Son nom, Magdalen, signifiait le soleil en langue ancienne : c'était donc là sa place, celle d'une guide pour le roi et pour le peuple tout entier. Elle voulait être l'image d'une femme forte et puissante, une souveraine altière pour un royaume à l'avenir radieux ! Seulement, il s'agissait là de ses ambitions de petite fille fougueuse dont le monde se résumait aux contes que lui racontait sa grand-mère. Lorsqu'elle fut mariée à Atlas, elle comprit ce que cela faisait d'être reléguée au second plan. Bien que tous les sujets la révéraient comme protectrice d'Osphariel et mère du peuple, elle avait l'impression d'avoir autant de valeur que l'un de ces ornements qui encadrent une peinture, belle mais inutile.

Ainsi, Magdalen accepta qu'elle ne pourrait jamais être une héroïne. Elle se fit donc la mission de moduler le futur roi de l'harmonie, son fils.
Lui accomplirait ce qu'elle ne pourrait jamais. Il serait invincible et ne se plierait devant aucun autre homme.

- N'est-ce pas, mon petit prince ? fit-elle.

- Maman ! Maman !

Son fils tirait sur ses jupes de dentelle en riant. Il avait les yeux gris d'Atlas et les beaux cheveux dorés de Magdalen.
Elle le prit dans ses bras avec tendresse.

- Tu seras un grand roi, Cordius. Aussi grand que ton père, j'en suis persuadée.

- Papa ?

- Oui, ton papa est le roi de ce Continent et tu le seras aussi. Regarde là-bas, par la fenêtre ; au-delà des collines, il y a un monde qui t'attend. C'est le tien. Il t'appartiendra tout entier, un jour.

- Tout à moi ? demanda l'enfant, des étoiles dans les yeux.

Magdalen sourit et confirma :

- Tout. Absolument tout et bien plus encore. Tu n'auras pas à vivre cloîtré dans cette ville. Tu pourras découvrir cette terre et celles qui existent au-delà des océans. Plus aucune limite ne substituera si tes pouvoirs se révèlent encore plus puissants que ceux d'une déesse !

- Je veux de la limonade, maman ! couina le prince. Avec beaucoup de miel !

Magdalen soupira en le reposant au sol.

- Pathétique, siffla t-elle.

- Ce n'est pas une façon de s'adresser à son fils, surtout pour une reine, je me trompe ? lança une voix féminine.

En se retournant, Magdalen vit les rideaux de soie du salon s'ouvrir. Une jeune femme vint et lui fit une révérence exagérée. Il ne s'agissait pas là d'une de ses dames de compagnie mais de celle qu'elle considérait comme sa rivale : la lieutenante Clarys d'Asthamos, fille du sous-commandant des Chevaliers Ailés.

- Je ne me souviens pas vous avoir autorisé à être ici, dit Magdalen d'un ton froid. Mon fils ne devrait pas avoir à côtoyer des individus comme vous, surtout à son jeune âge.

- Votre fils semble m'adorer, au contraire ! Et puis je pense qu'il vous aimerait plus vous aussi si vous lui prépariez des limonades au miel au lieu de le droguer au zafos dans le dos de Sa Majesté.

- Vous êtes...pitoyable. Regardez-vous, enfin ! Vous ne ressemblez même pas à une femme.

Magdalen était embarrassée de devoir attaquer le physique de la jeune femme puisqu'elle ne pouvait pas réfuter ses accusations.
Le zafos était une toute nouvelle création des alchimistes du Temple. Il s'agissait d'une espèce de poudre violette produite à partir de substances interdites qui, en l'ingérant, servait disait-on à éveiller les capacités magiques de certains profanes. La reine avait des relations privilégiées avec certains prêtres de l'Équilibre et il n'était pas rare qu'ils la fournissent en zafos au prix de quelques faveurs. Il ne lui restait plus qu'à discrètement parsemer la substance dans les bouillons de Cordius en espérant que ses pouvoirs se réveillent plus rapidement.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant