39 - L'illusionniste

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- Vous vouliez me parler, prince ? Immédiatement ? J'espérais que vous profitiez plus longtemps des festivités.

Hors de la salle du banquet, la forteresse royale semblait endormie. Toute l'agitation et la démesure venaient de retomber, laissant Soren troublé mais content de ne plus avoir à supporter cette foule hostile qui ne lui rappelait que trop la cour de Desmarid. Chose plus étrange, toutefois, il était en train de déambuler dans la résidence en compagnie du roi Atlas, tels deux amis de longue date.

- C'est sans vouloir vous offusquer que j'ai souhaité que nous conversions tout de suite, répondit Soren avec politesse. Le banquet était à mon goût, cependant. Vos musiciens sont hors-pair.

- Je vous remercie du compliment. Au fait, n'y avait-il pas également un violoniste prodige qui se produisait dans votre royaume, l'année précédente ? Même jusqu'à Eshren, on racontait qu'il était un véritable phénomène.

Le coeur de Soren manqua un battement. Du coin de l'œil, il observa le roi, se demandant s'il avait fait exprès d'évoquer ce sujet. Heureusement, au vu de son expression légère et distraite, cela ne devait être qu'une simple coïncidence.

- Ah, sans doute..., fit Soren. Après tout, je ne suis pas très bien informé sur tout ce qu'il se passe concernant les musiciens d'Hydralia. J'ai toujours préféré le silence.

- Je vois. Le silence a ses bienfaits, vous avez raison. C'est un peu comme le vide. Ils vous permettent de vous détacher de la réalité, quitte à vous forcer à vous renfermer sur vous-même ; une espèce d'introspection naturelle.

Ils finirent par s'arrêter sur une terrasse donnant sur le versant ouest de la capitale. D'aussi haut, on ne pouvait entendre qu'un faible bourdonnement provenant des rues toutes éclairées par des centaines et des centaines de lanternes colorées. Les célébrations fêtées au nom du jeune dauphin prenaient part dans toute la ville où tous scandaient le nom de l'Arkaniel. Au loin, sur le mont d'Iyr, s'élevait le Temple. Plus loin encore s'étendait l'océan. Pas des remparts, comme à Desmarid, non : l'océan.
Et sur celui-ci la lueur de milliers d'étoiles.

- C'est...

- Voir Eshren de nuit fait toujours son effet, n'est-ce pas ? fit le roi Atlas en riant. Moi-même je me retrouve à chaque fois émerveillé devant cette vue. J'aimerais qu'elle ne change jamais.

Passé la stupéfaction, Soren se racla la gorge, honteux. Il doit vraiment me prendre pour un enfant, pensa t-il.

- Je veux que mon fils puisse lui aussi admirer Eshren depuis cette forteresse pour qu'il se rende compte à quel point ses responsabilités sont importantes, déclara Atlas. Son rôle sera de défendre cette cité et ce pays pour assurer la sécurité de ses sujets. C'est pour que dix générations plus tard, ses descendants aient encore la chance de faire perdurer un monde de paix, de beauté et d'harmonie...

Atlas leva les bras vers le ciel.

- Voilà pour quoi je me bats chaque jour ! s'écria t-il avec émotion. La paix, la beauté et l'harmonie ! Vous l'avez vous-même vu de vos propres yeux, prince : des sujets comblés, beaux et heureux vivant dans une ville où rien ne manque. Ni l'eau, ni la nourriture, ni rien ! Et c'est cette harmonie que vos rois ont toujours essayé d'anéantir au fil des siècles, voulant écraser tout ce qui pouvait y avoir de plus admirable sur le Continent au prix de guerres dévastatrices...J'étais à peine plus jeune que vous lorsque les armées de votre père Adorjan ont franchi la frontière nord d'Osphariel, amenant de nouveau la magie noire et la destruction sur nos terres. Je l'ai combattu avec hargne, j'ai vu brûler des villages et tuer des femmes, des enfants ! C'était atroce. Adorjan n'avait pas de pitié. Et c'est le sang de ce monstre qui coule dans vos veines.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant