20 - Le jardin d'hiver

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     Le jardin d'hiver de l'aile sud du Palais royal était un endroit paisible où le prince Soren aimait réfléchir, profitant de la compagnie des roses rouges et de leurs épines cruelles. Elles vous piquaient sans hésitation de leur pointe aiguisée alors que l'Homme ne souhaitait qu'observer la beauté de ses pétales aux teintes écarlates.
Hélas, l'été étant arrivé, il faisait extrêmement chaud sous le beau dôme de verre du jardin. Soren s'y rendait donc moins souvent et seulement lors d'occasions exceptionnelles comme c'était le cas aujourd'hui.

Quelques jours auparavant, le jeune homme apprenait par une missive d'un espion présent en Osphariel que le grand roi Atlas avait été désigné par la déesse comme étant le tant désiré fils de l'Équilibre. La nouvelle l'ennuya plus qu'elle ne le surprit ; cela faisait déjà plusieurs décennies que le roi expérimentait toutes sortes d'invocations et autres grotesqueries magiques dans le but de se faire élire par la déesse. Soren était certain que ces stratagèmes ne fonctionneraient pas, alors se pourrait-il qu'il ait accompli un acte de bravoure et de dévouement tel qu'il en est devenu assez honorable aux yeux de l'Équilibre ?

     Le prince méditait sur ces question en déambulant machinalement à travers les rosiers. Mains derrière le dos, tout de noir vêtu, on aurait pu le prendre pour un spectre de la Mort admirant des fleurs faner sous le soleil. Et si le peuple se retournait contre moi ? se demandait-il. S'il décidait d'aider Osphariel à pénétrer nos murs et mettre à bas ma famille ? Qu'est-ce que je ferai ? Il s'arrêta et regarda ses mains, des mains fines et striées de veines bleues, aussi douces que du velours. Je ne peux pas savoir si mes pouvoirs sauraient égaler ceux du fils de l'Équilibre lui-même. C'est quasiment impossible. Il soupira de frustration, prêt à quitter le jardin dans lequel il commençait à suffoquer quand un bruit familier le fit se retourner, aux aguets.

C'était un coulissement métallique, lent, plutôt sinistre, qui avançait dans sa direction. Soren tentait de scruter à travers les hauts buissons, vainement. Puis il apparut au bout de l'allée. Un homme à la barbe grise et drue, une couverture posée sur ses genoux pour masquer ses deux jambes estropiées. Il avait lui aussi l'habitude de venir surveiller ses rosiers et de se balader en fauteuil roulant dans le jardin d'hiver. Cet homme se nommait Adorjan d'Hydralia. Le roi.
Son père.

- Votre Majesté, salua le jeune homme en s'inclinant respectueusement.

Instinctivement, ses mains se mirent à trembler, non pas de peur mais de colère. Il prévoyait déjà ce que le roi s'apprêtait à lui dire.
Adorjan s'était arrêté sans même daigner répondre. Sa paire d'yeux bleu sombre, si semblables à ceux de son fils, le fixaient sans émotions.

- Ta mère m'a raconté comment s'est déroulé le conseil, finit-il par déclarer d'un ton glacial. Tu t'es comporté comme un enfant, prince.

- Un enfant ? Puis-je savoir pourquoi, Votre Majesté ?

Soren tentait tant bien que mal de ne laisser rien paraître, mais face à son père, cette tâche était plus que difficile. Le mépris qu'il lui vouait, à lui, son fils, l'humiliait profondément.

- Tu as parlé de tes craintes aux femmes et aux hommes les plus puissants de tout le royaume comme tu te confirais à Oswald, et ce sans même mentionner la stratégie que tu prévois d'adopter en vue de la guerre ! Comment veux-tu qu'ils te respectent en tant que roi si tu n'arrives même pas à agir comme un général d'armées ?

- J'ai pensé que cela était honorable de rester transparent avec eux, Votre Majesté, plutôt que de me cacher derrière des promesses que je ne saurai tenir. Et je ne compte pas me comporter comme un général ; je n'en suis pas un.

- Ah ! Ça je l'ai bien vu. Tu n'arrives même pas à gagner un duel à l'épée contre ton cher cousin, comment saurais-tu diriger une armée, voire un pays tout entier ? Il ne suffit pas d'exceller dans l'art de la sorcellerie pour être apte à gouverner. C'est bien pour cette unique raison que ton conseil se soumet encore à tes ordres...

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant