Le Cygne Noir

18 - Le secret d'Adorjan

Kalypso était allongée sur son lit qui paraissait tout à coup gigantesque pour elle. Elle reposait au milieu, droite, les mains jointes au-dessus de la poitrine. Ses cheveux s'éparpillaient comme une auréole sur l'oreiller de soie, brossés et parfumés. On aurait dit qu'elle dormait. Ce matin, Soren tentait encore de s'en persuader jusqu'à ce qu'il touche la main de sa mère et qu'il ne sente rien. Le don qu'il possédait ne lui évoquait aucune émotion, signe que la reine s'était bien perdue dans les limbes.

- Elle respire encore, dit le prince. Je veux y croire

Le professeur Waltz en personne était venu au chevet de Kalypso. Sa longue barbe blanche touchait presque le sol, et il la tripotait en réfléchissant.

- Nous avons tout essayé pour la réveiller, mais ce poison est bien plus puissant qu'il n'y paraît, avoua t-il. Son état commençait à redevenir stable quand il a montré ses vrais effets. Sa Grâce est forte mais il faudrait un miracle pour qu'elle rouvre les yeux, un jour. Je suis profondément désolé, prince.

- Il faut attendre, alors...J'attendrai tout le temps qu'il faudra.

Si même le Pr. Waltz, réputé comme étant le plus grand médecin de tout Hydralia, ne pouvait rien y faire, cela signifiait que c'était une cause perdue. Tout s'était passé tellement vite. Kalypso avait été emportée par ce poison sans même que Soren ait eu le temps de réaliser ce qu'il se passait...Il se sentait coupable d'avoir mis autant de temps à revenir à Desmarid. C'était égoïste. Peut-être n'aurait-il pas pu empêcher l'assassinat, mais il aurait au moins tenté de tuer cette Clarys d'Asthamos qui lui apportait tant de malheurs depuis leur rencontre sur les champs de bataille. Il voulait qu'elle paye ce qu'elle avait fait ; une vie contre une vie.

C'est tête baissée qu'il ressortit de la chambre. Dehors, les domestiques qui venaient tout juste d'apprendre la nouvelle couraient dans tous les sens comme des petites fourmis. Personne n'arrivait pas à y croire. Cela ne devait être qu'un mauvais rêve...
En marchant le long des remparts, Soren repensait à tous ces moments partagés avec sa mère, pilier sur lequel il pouvait toujours s'appuyer. Sans elle, il était en déséquilibre. Il craignait de trébucher et de ne pas trouver cette main rassurante qui l'aiderait à se relever. Le prince était de retour dans sa demeure de naissance mais avait perdu ce qui faisait d'elle sa maison.

Après une contemplation de l'horizon maussade, Soren reprit le chemin des appartements royaux pour chercher le roi Adorjan. Depuis son arrivée, il ne l'avait même pas entr'aperçu mais savait que Sa Majesté était au courant de sa présence dans la citadelle. On lui rapportait toujours tout, à voix basse. Après tout, il restait le roi ; un roi sans reine, désormais.

Quand il entra dans la pièce, la chaleur habituelle frappa Soren qui plaignait son père, recroquevillé sous huit couches de duvets et de fourrures. Le jeune homme remarqua ô combien Adorjan avait vieilli et maigri. Il ressemblait à l'un de ces mendiants qui dormaient à la belle étoile dans les ruelles de la ville.
C'était la première fois depuis presque quatre ans qu'il le revoyait. Le roi lança un bref regard vers Soren, puis demanda d'une voix sèche :

- Comment va-t-elle ?

Soren s'inclina respectueusement.

- Rien n'a changé depuis hier, répondit-il. Les guérisseurs veillent continuellement sur elle, mais ils n'ont plus vraiment espoir.

- Plus espoir, hein ? Ce n'est pas étonnant. Mais tu es donc encore vivant...Pendant ton absence, Kalypso a beaucoup souffert. Elle mangeait peu et ne sortait presque plus de la citadelle. Elle craignait jour et nuit pour toi.

Pour moi ?
Le ton d'Adorjan avait basculé. Soren n'avait jamais entendu autant de tristesse dans sa voix.

- ...Je ne le savais pas, avoua le prince. En fait, je n'en avais aucune idée.