Le temps passe lentement sur l'océan. Chaque lever et coucher de soleil est un spectacle, et la journée s'écoule goutte par goutte, de sorte que Électra eut tout le loisir d'admirer l'horizon de l'aube au crépuscule. Elle voyait le soleil scintiller au-dessus des vagues et le reflet d'une immense lune qui lui souriait, aussi blanche que les voiles du navire. Elle sentait le vent marin caresser sa peau pour y déposer une fine pellicule de sel. Elle entendait le bruissement de l'eau contre la coque, l'écume venant s'y déposer et les poissons multicolores s'agitant en bancs sous son nez. Ici, chaque chose paraissait plus vivante, plus précieuse à ses yeux.
Quand elle débarqua en Cyrianie, le ciel était dégagé et aussi bleu que dans ses souvenirs. Il y avait beaucoup de monde dans le port, des marchands d'épices et des négociateurs qui se baladaient une balance dans les mains. L'atmosphère bruyante et agitée différait complètement de celle des Îles polaires, mais Électra en était contente. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vu des inconnus, des visages bronzés, des tissus colorés...Un sentiment de nostalgie la saisit sur le champ, et elle poursuivit sa route en serpentant dans la foule.
Il lui fallut trois jours sur une charrette de boeufs pour atteindre son village natal. L'homme qui conduisait l'attelage ne lui avait réclamé que deux pièces d'argent, ce qui était assez peu cher pour un voyage de cette durée. Autour d'elle, on ne voyait plus que des champs de blé, des vignes et des vergers. La végétation semblait tranquille, regorgeant de fruits et d'une abondance formidable.
Quand le village fut enfin en vue, Électra fut étonnée de voir que des remparts le protégeaient et qu'il s'était considérablement agrandi. L'homme qui conduisait la charrette lui apprit qu'il avait été entièrement reconstruit après la fin de la guerre, en partie grâce à la fortune léguée par un certain M. Sybell, conseiller du roi de Cyrianie.
Après l'avoir chaleureusement remercié, Électra se mit à explorer le village à pied. Les bâtiments à colombages, le tumulte dans les rues, la Place centrale, les échoppes aux insignes tape-à-l'oeil...Tout demeurait identique. Cette ville n'avait rien de spécial, pourtant, mais elle symbolisait tout un monde pour Électra. Son passé, et son avenir aussi. Elle ne pouvait plus garder de rancœurs contre des fantômes. Cette époque était révolue depuis bien longtemps.
Toute l'après-midi, elle déambula dans les ruelles du village à la recherche d'un quotidien perdu. Le chat errant. Les jongleurs sur le parvis de la mairie. La taverne animée. Le bibliothécaire. La vendeuse de fleurs à laquelle elle acheta un bouquet de pensées.
Si calme.
Lorsque le soleil commença sa lente descente, Électra arriva enfin sur la colline. Rien n'avait été construit dessus. Elle était restée comme dans ses souvenirs. Une petite colline verdoyante où poussait un grand mandarinier solitaire.
Électra la gravit doucement, prudemment pour ne pas réveiller ses parents. Elle se mit à genoux sous l'arbre, en face des deux pierres tombales où étaient inscrits le nom de son père et de sa mère. Ils étaient presque devenus illisibles avec le temps, mais Électra les gardait auprès elle comme deux trésors. Elle déposa les fleurs contre les pierres.
- Mère, Père, dit-elle, c'est moi. Votre fille. J'espère que vous allez bien.
Le silence lui répondit.
Elle sortit l'instrument de sa malle.
- Regardez, c'est le violon de Mikhaïl. J'ai pensé que je l'enterrerai à côté de vous pour sa mémoire...Qu'est-ce que vous en pensez ? C'est un bel objet, je crois.
Sa voix se faisait de plus en plus faible.
- Je suis désolée de ne pas être revenue plus tôt, souffla t-elle. J'aurais voulu. C'est long douze ans loin du village. Tout le monde semble aller mieux, et il y a encore plus de gens qu'avant. Vous savez, là-bas, au Nord, j'ai rencontré quelqu'un. Un homme. Je le détestais au début, je voulais qu'il disparaisse à tout jamais, mais au final, je pense que c'est lui qui m'a rendu heureuse.
Une larme dévala sa joue, mais Électra souriait.
- C'est bête, n'est-ce pas ? Sept ans et je n'arrive toujours pas à l'oublier. C'est comme si il était toujours là, quelque part, et que j'attendais son retour chaque matin. Je l'aimais sincèrement, et je m'en suis rendue compte que lorsqu'il est parti. C'est si bête.
Elle eut un éclat de rire.
- J'aurais aimé que vous le rencontriez, mais peut-être que vous l'avez déjà fait, là-haut. Je l'espère en tout cas. Je pense que vous l'auriez apprécié...Son nom est Soren.
Électra n'essuya pas ses larmes. Elle les laissa couler, tomber sur l'herbe verte comme des éclats de diamants. En un instant, la solitude qui la rongeait venait de s'évaporer. Électra les sentait auprès d'elle. Ses parents, son frère, Soren ; ils étaient tout près d'elle, une main sur son épaule, leur silence apaisé résonnant dans son coeur. Ils la regardèrent enterrer le violon, écoutèrent sa prière à la déesse et la remercièrent pour les fleurs qui embaumaient la colline de leur parfum.
Plus personne ne revit jamais Électra. Elle avait disparu quelque part, là où seul le bonheur pourrait la trouver. Peut-être était-elle morte, peut-être pas. Peu de gens cherchait à obtenir des réponses, et au fil des saisons, le nom de la dernière Saul sombra dans l'oubli.
Chaque année pourtant, à l'approche de l'été, lorsque les premiers fruits tombaient du mandarinier, on pouvait apercevoir un nouveau bouquet de pensées au pied des tombes anonymes. Leurs pétales violets s'envolaient au gré du vent, libres, valsant sur une étrange mélodie.
FIN
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Le Cygne Noir
Fantasía《 Il existe, sur terre ancienne appelée le Continent, deux royaumes ennemis s'affrontant depuis des millénaires. Électra est une habitante de l'insignifiant royaume de Cyrianie. Rejetée par son village, elle décide de tout quitter lorsqu'elle appre...
