Chapitre 8

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     Anissa émergea de son sommeil, bercée par les doux échos des vagues lui parvenant d'une baie vitrée entreouverte. Son ventre vint cependant troubler ce mélodieux murmure d'une plainte lancinante. Quelle heure était-il ? Elle se pencha pour attraper son téléphone : 15h00.

— Déjà ! 

     Il faut dire que le décalage horaire et le vol l'avaient épuisée. Elle s'était couchée directement après le dîner apporté dans sa chambre, après avoir organisé son travail pour les jours à venir. Avec la fatigue, la jeune femme n'avait pas mis longtemps à trouver le sommeil. Peu importait maintenant, il fallait s'activer pour espérer être un minimum productive aujourd'hui.

     Fidèle à elle-même, la jeune femme prit tout de même un temps pour accorder sa tenue, chose très importante pour une styliste : maillot de bain deux pièces jaune moutarde de sa propre collection été 2019 agrémenté de lunettes de soleil à la tiny sunglasses et d'un large chapeau de paille qui accentuait l'élancement de son corps. Elle emporta un sac de plage dans lequel elle avait rangé ses esquisses de travail, et referma la porte de sa chambre d'un grand geste.

     Tout en marchant dans le couloir, l'odeur de l'océan lui parvint. Anissa aimait cet effluve si particulier qui lui rappelait par le seul sens de l'odorat qu'elle était bien loin de Paris. Mais au détour du couloir, une silhouette masculine qui marchait à quelques mètres devant elle la tira de ses pensées.

     Une impression de déjà-vu l'anima au contact de cet homme. Cheveux châtains rejetés en arrière, barbe courte et taillée, épaules carrées. On pouvait deviner la musculature de son dos à travers sa chemise en soie. Beaucoup de classe dans sa tenue, qui paraissait même peu appropriée pour aller à la plage. Il va peut-être rejoindre quelqu'un... Une femme sans doute vu cette allure.

     Accélérant le pas pour se rapprocher de lui, elle continua son analyse et descendit le regard sur un fessier des plus rebondis, ce qui était, on ne va pas se le cacher, un bon point. Un bonheur pour les yeux.

     Mais elle ne put en profiter davantage car elle arrivait déjà devant l'escalier principal. L'homme, quand à lui, continua son chemin pour s'engager dans l'autre aile de l'hôtel. Piquée par la curiosité, Anissa ralentit alors son allure pour voir dans quelle chambre cet inconnu comptait se rendre.

     Lorsqu'il s'arrêta devant une des portes, elle détourna rapidement le regard. Elle avait tout de même réussi à en relever le numéro. Chambre 37. En l'espace d'un instant, une porte claqua et il ne resta dans l'air que l'effluve de son parfum boisé.

— Dès qu'il y a un bel homme, il faut qu'il soit pris, merde alors, pensa-t-elle à haute voix tout en descendant les escaliers pour atteindre le rez-de-chaussée.

     Mais un détail de la veille lui revint : l'homme qui l'avait longuement fixé à la piscine avait lui aussi une courte barbe. C'était d'ailleurs la seule chose qu'elle avait réussi à apercevoir. L'hôtel ne doit pas compter tant de bels hommes, tout n'est peut-être pas perdu. 

     Il fallait cependant qu'elle recentre ses pensées : son travail l'attendait. Une fois arrivée à la plage, Anissa choisit de s'asseoir à la charmante terrasse du bar. Cette dernière offrait une très belle vue sur le lagon et sur quelques motus. Les larges canapés blancs et l'imposant parasol en raphia au-dessus de la table lui permettrait de travailler dans de bonnes conditions. Qui plus est, ce décor paradisiaque serait des plus inspirants pour sa prochaine collection.

     Anissa s'attela alors à la tâche et sortit son matériel de dessin, étape qu'elle ne délaisserait jamais pour un logiciel de création assistée par ordinateur. Elle laissa son inspiration la guider tout en gardant en tête les tendances qu'elle avait anticipées avant de partir pour Bora Bora grâce à des mouvements de société et des phénomènes culturels. Ainsi, elle avait déjà choisi les tissus dont elle se servirait, à la fois visuels et sensuels, compatibles avec la saison. Certains étaient très ajustés pour dégager de l'érotisme, d'autres flottant pour une sensation de volupté ou encore simples pour mettre en valeur son écriture. Karl Lagerfeld avait la chemise blanche, Coco Chanel la petite robe noire. Il était important qu'elle garde la même signature dans toutes ses collections : l'utilisation de bijoux sur nombreuses de ses tenues afin de remplacer certaines pièces de tissus, pour un rendu chic et glamour. Une marque qui lui ressemblait, à son image. Bien qu'épuisant, Anissa adorait son métier : oser la juxtaposition inhabituelle de textiles, détruire les principes et harmonies du vêtement, sublimer le corps, utiliser l'habit comme moyen de communication, révéler ou cacher des traits personnels. Elle parvenait à la perfection à transformer les règles.

     Ses crayons et fusains venaient troubler la blancheur du papier avec des lignes douces et souples. Une atmosphère très florale se dégageait, portée par des tons blancs pour réfléchir la lumière, jaunes pour l'ensoleillement et la chaleur, lilas pour l'exotisme, qui n'était pas sans rappeler les nombreux bougainvilliers de l'île.

     Alors que le soleil déclinait fortement, une voix qui ne lui était pas inconnue la troubla dans sa concentration. Ce timbre lancinant, elle le connaissait c'était celui de Romuald ! Elle leva les yeux et l'aperçut non loin de là, adossé au bar. Il essayait de tenir la discussion à un couple de touristes dans un anglais des plus médiocres.

     Anissa se souvint alors qu'elle avait accepté d'aller prendre un verre avec lui le soir même. Mais aucun point de rendez-vous ni même d'heure n'avait été fixés, et elle n'avait vraiment pas envie d'être en sa compagnie. S'il ne l'apercevait pas, il n'y aurait aucun tête à tête ce soir. Elle pria alors pour passer inaperçue, et remit d'un geste rapide son chapeau et ses lunettes enlevés en s'asseyant.

     Mais que Romuald ne la voie pas, c'était croire aux miracles.

— Hé ! Alice ! s'exclama ce dernier tout sourire, en accourant dans sa direction. J'ai failli ne pas vous voir ! Vous vous rappelez de moi ? Romuald, hier à la réception !

     Il se posta devant elle, les mains sur les hanches, le visage animé par un large sourire niais.

— Salut, oui bien sûr comment oublier, répondit Anissa, lui rendant un sourire poli qui n'atteignit pas ses yeux.

— Comment allez-vous ? Je ne vous ai pas vu hier soir. Il faut dire aussi que j'étais en compagnie d'une amie, mais bien loin d'être aussi charmante que vous, raconta-t-il, espérant sans doute réveiller une pointe de jalousie chez la jeune femme.

— Voyez-vous ça. J'en suis fort ravie. C'est vrai qu'hier soir je ne suis pas sortie, je travaillais, comme actuellement, précisa Anissa.

     Elle désigna ses esquisses d'un geste de la main. Romuald se courba alors sur son travail avec entrain. Il pencha sa tête sur son épaule comme pour mieux observer et humecta d'un coup de langue rapide ses lèvres fines.

— Qu'est-ce que vous faites au juste ?

— Je suis styliste, je bosse sur ma prochaine collection, expliqua Anissa machinalement.

— Oh très bien, je vois, je ne vais pas vous déranger plus longtemps alors, nous parlerons de ça ce soir ! s'exclama-t-il en se relevant, l'oeil pétillant. Vous n'avez pas oublié j'espère ?

— Oublié ? Non, bien sûr que non.

— Très bien, alors à ce soir, on se dit 21h00, après le repas. Je passe vous prendre ?

     Anissa réfléchit un instant. Il était hors de question que cet homme très entreprenant sache où se situait sa chambre.

— 21h00 très bien, mais on peut dire plutôt comme point de rendez-vous le hall de l'hôtel ?

— Oh oui, pas de soucis ! Bon, et bah je m'en vais de ce pas à la piscine. À ce soir ! s'exclama-t-il, un sourire triomphant sur les lèvres, avant de tourner les talons.

     Anissa le regarda partir. Quelle barbe ce Romuald ! Il est vrai qu'elle n'était pas très aimable avec lui mais il était d'une prétention des plus irritantes. Son manque d'humilité était assez déroutant. Qu'attendait-il d'elle en lui racontant son aventure de la nuit passée ? Elle n'en avait que faire.

     De plus, il n'était pas vraiment son type d'homme, bien qu'il ne soit pas dénué de qualités physiques. Un grand blond aux yeux verts, une barbe de trois jours au-dessus d'une pomme d'Adam prononcé et des cheveux mi-longs. Son visage semblait engageant avec sa bouche rieuse et son regard vif. Il essayait sans doute de se donner une allure de surfeur bien que son corps semblait plus être familier aux coups de soleil qu'au sport.

     Romuald n'était pas laid tout compte fait, mais son comportement le décrédibilisait vite. Le personnage qu'il était lui permettrait au moins de tromper la solitude le temps d'un verre... Du moins, si elle le supportait jusqu'à la fin.

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