Chapitre 89

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     Les yeux fuyants de Clarke lui firent comprendre sans même qu'il n'ait eu à se prononcer.

— Je n'en sais rien. Je lui ai dit qu'on recommençait tout mais je ne suis même pas sûr de le vouloir moi-même...

     Tout l'air des poumons de la jeune femme s'échappa d'un seul coup. La pièce semblait s'être rétrécie. La boule dans son ventre avait enflé jusqu'à tripler de volume. Elle sentit le sol s'écrouler sous elle, ses membres devenir tremblants. Ç'en était reparti de leur relation toxique à n'en plus finir. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait eu une once d'espoir malgré tout.

— Tu avais l'occasion de la quitter. Pourquoi tu n'as pas accepté ? balbutia-t-elle.

     Clarke se prit la tête entre les mains, visiblement tiraillé.

— Parce que je suis totalement paumé. Je n'ai pas envie de la perdre. Et puis il y a toujours cette histoire de messages. Quand Mélonie parle de se quitter, il n'en est rien. Jamais elle ne me laissera partir, elle est bien trop maligne pour ça.

     Anissa sentit son cœur bondir. Elle aurait voulu lui dire tellement de choses, le raisonner, essayer encore une fois de l'aider... mais à quoi bon ? Il avait pris sa décision. Les larmes lui montèrent doucement aux yeux.

— Ça ne te sert vraiment pas de lui avoir dit de tout recommencer.

     Sa voix se perdait et elle peinait à articuler.

— Je sais. Elle n'oubliera jamais cette histoire. Et elle va bien me le montrer. Quoi que je choisisse de toute manière, cela me dessert, alors bon.

     Anissa ne dit mot. Elle n'en avait même plus envie. Tous les souvenirs de l'angoisse désespérée qu'il avait fait naître en elle à tant de reprises lui revenaient : sa trahison avec Mélonie, son acharnement à garder contact avec elle malgré tout, la scène dramatique à la plage et maintenant ça... Cet homme va me détruire.

— Enfin, pourquoi je suis ici du coup ? reprit Clarke sans sembler remarquer le malaise d'Anissa.

     La jeune femme se ressaisit. Pas question qu'il remarque l'impact de sa décision sur elle.

— Je pars dans une heure.

— Quoi ? s'étrangla Clarke. Mais pourquoi ? Ton vol était mercredi, non ?

     Son expression avait changé. Il ne semblait plus emprunt au chagrin mais à l'énervement.

— Je sais, mais j'ai terminé mon travail. Et au vu des derniers évènements, c'est mieux pour tout le monde, tu ne crois pas ?

     Clarke se releva du canapé d'un geste brusque. Le souffle bruyant qu'il laissa échapper témoignait de son agacement profond.

— Non, non je ne crois pas ! Elle se montre parfois bête Mélonie, mais ce n'est pas pour autant que tu dois partir !

     Anissa fut surprise de son ton si résigné. Il se fout de moi ?

— Il n'est pas que question d'elle. C'est question de toi aussi. Tu ne vois pas la situation dans laquelle ça te met ?

— Écoute Anissa, cette situation, je l'ai voulue. Je savais ce que je faisais en toute connaissance de cause la première fois que je t'ai parlé. La première fois qu'on l'a fait. Et la dernière aussi, souligna-t-il avec passion en s'agenouillant auprès de la jeune femme. Je savais ce à quoi je m'exposais et je ne changerais quoique soit pour rien au monde.

     Elle n'arrivait même plus à le regarder dans les yeux. Ses pensées la tourmentaient trop. Sa tête tournait et elle eut envie de lui crier tout ce qu'il lui passait par la tête depuis assez longtemps déjà. Combien de temps encore va-t-il encore jouer avec moi de la sorte ?

— Tu vois, tu lui dis de tout recommencer mais tu ne le fais pas toi-même. À force de tout vouloir sans rien préférer, tu perds tout Clarke, finit par dire Anissa avec difficulté.

— Je sais bien, mais je voulais que tu restes jusqu'au bout... Je culpabilise déjà bien assez de toute cette histoire, confia-t-il en se relevant.

— C'est aussi pour moi que je le fais. Pour ma tranquillité. Cette situation me rend malheureuse je ne vais pas te mentir. Et c'est tellement frustrant de te voir enfermé dans cette relation où tu ne sais même pas ce que tu veux. Je ne veux plus être confrontée à ça. J'ai apprécié tous nos moments passés ensemble malgré tout.

— Moi aussi Anissa... Je suis sûre que je passe à côté de quelque chose.

     La jeune femme sentit qu'il était temps de mettre un terme à cette conversation. Si elle ne le faisait pas rapidement, elle aurait longtemps sur le cœur le regret de l'avoir laissé se dévoiler plus à elle sans qu'il ne se passe plus jamais rien entre eux.

     Elle le raccompagna alors à la porte, le cœur en miettes. Il la regarda de ses yeux bleus désinvoltes et l'étreignit longuement. Ce parfum.

— Je te souhaite plein de bonnes choses Anissa, lui souffla-t-il doucement.

— Et moi, je te souhaite de retrouver le bonheur, que ce soit dans les bras de Mélonie ou dans ceux de quelqu'un d'autre.

— J'ai espoir que tu veuilles bien me revoir une fois rentrée.

— J'avoue que je n'en sais rien. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose pour nous deux tant qu'elle est dans ta vie.

     Clarke finit par relâcher son étreinte et il sortit du bungalow. Le jeune homme se retourna une dernière fois en s'avançant dans l'allée.

— Promets-moi tout de même de garder contact !

     Anissa eut un moment d'hésitation. Un spasme de chagrin crispa son visage. Ne pars pas je t'en prie...

— Je te le promets, Clarke.

     La dernière chose qu'elle vit de lui avant qu'il ne tourne la tête fut son immense sourire parcourant son visage. Elle grava son profil splendide dans sa mémoire, puis referma la porte sur cette image et s'effondra.

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant