Chapitre 25

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     Le réveil tardif lui fit du bien. Anissa se sentait en pleine forme et sa tête était remplie de douces images de la veille. La nuit d'hier avait connu quelques fastidieux épisodes mais s'était terminée en beauté. Tout semblait couler si bien, si naturellement, que cela lui semblait presque irréel. C'était peut-être même trop. Mais elle chassa toutefois bien vite ses pensées pessimistes en admirant de sa chambre le lagon paradisiaque. Finalement, cette histoire colle plutôt bien au cadre !

     Mais pas trop le temps de se prélasser au bord de l'eau aujourd'hui. Anissa devait travailler toute la journée avant de passer ce qui promettait d'être une agréable soirée. Après avoir enfilé une combinaison noire et englouti un petit déjeuner apporté à sa chambre, Anissa sorti en trombe.

     Rendue au même bar que d'habitude, en face du lagon, elle sortit ses esquisses et s'attela à la tâche. Mais les fortes discussions de ses voisins de table la contraignirent à mettre ses écouteurs. Difficile alors pour Anissa de se concentrer quand elle choisit de remettre la musique sur laquelle Clarke lui avait mangé le cou... Dès les premières mesures, la sensation de chaleur et la montée de désir revinrent en elle si bien qu'elle en oublia ce qui l'entourait. Son corps frémit à ce souvenir. La voix chaude et séductrice du chanteur l'enveloppa et Anissa arbora un sourire grotesque un bon moment. Comme elle aurait voulu qu'il soit là. Elle s'assura tout de même qu'il n'était pas dans les parages et ne put s'empêcher de remettre en boucle cette musique.

     L'après-midi touchait presque à sa fin quand la jeune femme retira ses écouteurs et se rendit au bar, poussée par la soif. S'asseyant pour décompresser cinq minutes, son attention fut toutefois attirée par une femme en face d'elle, de l'autre côté du comptoir. Ses traits de visage assez épais et sa pomme d'Adam l'interpellaient.

     Elle avait déjà croisé plusieurs fois cette animatrice au sein de l'hôtel en train de réaliser diverses activités pour les vacanciers. Elle était très belle et son maquillage sophistiqué impressionna la styliste.

     La femme échangea deux trois mots avec le serveur et repartit en direction de l'hôtel. Le barman vint dans le même temps à la rencontre d'Anissa :

— Qu'est-ce que je vous sers ?

— Une limonade s'il vous plaît.

     Il attrapa alors un verre avant de lancer, un sourire au coin des lèvres :

— Rae Rae.

— Je vous demande pardon ? questionna la jeune femme un peu surprise.

— J'ai vu votre regard tout à l'heure. C'est un Rae Rae si vous vous posiez la question, expliqua-t-il en montrant d'un signe de tête la femme qui s'en allait.

— Ah, mais je ne sais pas ce qu'est un Rae Rae.

— Et bien c'est un homme qui a choisi de devenir une femme, y compris en changeant son corps.

     Le barman lui tendit son verre en une rapidité impressionnante.

— Je pense en avoir déjà croisé depuis mon arrivée ici ... C'est très répandu dans votre culture, c'est bien ça ?

— À vrai dire, ce qui est reconnu dans notre culture avant tout, ce sont les Mahus. Ce sont des hommes qui aiment laisser parler leur féminité mais ils ont leur statut et leur place au sein de la famille. Ils prennent parfois les tâches des femmes pour les aider et ils sont très respectés. Ce sont peut-être des Mahus que vous avez vus car les Rae Rae sont moins appréciés et appartiennent pour beaucoup au monde de la nuit.

— Mais cette femme, c'est bien un Rae Rae, non ? demanda Anissa intriguée.

— Oui, Domenic en est un. Mais c'est une personne très respectée ici. C'est différent, peu d'entre eux ont le même statut qu'elle. Je pense que c'est le cas dans beaucoup de pays, les personnes différentes ne sont parfois que peu appréciées si je ne me trompe pas. La France n'est pas trop novatrice dans ce domaine non plus, non ?

     Anissa acquiesça en sirotant sa limonade.

— Je pense que les mentalités commencent à évoluer même si beaucoup restent fermés d'esprit et ne souhaitent pas voir le changement chez les autres.

— C'est bien que les mentalités évoluent. Ce n'est pas le cas partout, constata le serveur en s'accoudant au bar.

     Il plaça alors une main sous son menton pour soutenir son visage et le regard de la jeune femme, visiblement intéressé.

— Les Français ont compris que chacun est libre de disposer de son corps comme il l'entend, peu importe son genre, son orientation sexuelle, son origine, son âge et j'en passe. Même si une minorité reste intolérante.

— Et vous, de quelle catégorie faites-vous partie ?

— Moi, je pense que vous l'avez compris, la majorité. Dès que j'ai l'occasion de remettre à sa place quelqu'un qui a des propos discriminants, je le fais.

— Vous avez bien raison, il en faut des gens sensés pour remettre à leur place les idiots.

— Je ne les appellerai pas « idiots » pour autant... Je pense que ce sont juste des personnes qui ont peur de la différence et n'ont pas envie de voir leur environnement évoluer. Pour moi, ils ne choisissent pas véritablement leurs opinions, ils suivent seulement ce qu'on leur a imposé de penser...

— Oui, c'est certainement vrai. Vous êtes très intéressante, madame... Quel est votre prénom ?

— Anissa, c'est Anissa.

— Et moi Armand. Si vous permettez, il faut que j'aille m'occuper des autres clients, informa ce dernier en se relevant, un sourire d'excuse sur le visage.

— Pas de soucis, je ne vais pas tarder à rentrer de toute manière. Bonne soirée !

— Vous de même Anissa !

     Elle s'écroula sur son lit. Pas de nouvelle de Clarke. Elle ne l'avait même pas aperçu aujourd'hui. Se pouvait-il qu'il dorme encore ? Alors que l'après-midi touchait à sa fin ? D'autant qu'il ne lui avait pas confirmé le rendez-vous prévu ce soir. Et s'il avait changé d'avis ? Peut-être s'était-il vexé par la distance qu'elle avait mise entre eux au moment de partir... Mais cela semblait tout de même peu probable.

     L'idée d'aller voir Romuald lui traversa l'esprit : il serait sûrement au courant, peut-être même était-il avec Clarke. Mais elle balaya cette idée peu persuasive et commença malgré tout à se préparer en espérant un miracle. Sa mise en beauté fut-elle qu'on eut dit qu'il s'agissait de la soirée de sa vie. Fard à paupières lumineux, gloss légèrement rosé et une robe drapée en satin blanc, froncée et plissée sur les hanches. Anissa ne laissa rien au hasard, même pas son tanga en dentelle des plus charmants. On ne sait jamais après tout ! Si avec tout ça il n'y a pas de rendez-vous, je lui déclare la guerre !

     Mais alors qu'elle s'affairait à retrouver son téléphone, un papier plié en deux et posé sur sa petite table de salon retint son attention. Elle ne l'avait même pas remarqué depuis tout ce temps, et se jetant dessus, l'ouvrit avec empressement. Il y était écrit dans une écriture typographique : 19H00, Le Dolfino.

     Elle resta quelques secondes figée devant le mot, une expression niaise sur le visage. Simple, efficace. Aucune signature mais nul besoin, Anissa connaissait déjà l'expéditeur.

     Comme délivrée d'un poids, elle finit de se préparer un sourire radieux illuminant ses traits et partit sans même regarder son téléphone sur lequel cinq appels manqués de Clara allumaient encore l'écran.

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant