Chapitre 67

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     Il était 21 heures quand Anissa sortit de la boutique de l'hôtel. Lorsqu'elle passa par la réception, elle reconnut Jemma assise sur un transat près de la piscine principale. Son rythme cardiaque s'accéléra légèrement. Comment réagir ? Aller à sa rencontre tout naturellement ou tenter de traverser sans être vue ?

     Anissa ne regrettait absolument pas sa soirée de la veille mais avait une certaine appréhension quant au comportement qu'allait adopter Jemma à son égard dorénavant. Cependant, cette dernière l'aperçut et lui fit signe de venir.

— Tu m'espionnes ? demanda-t-elle tout sourire.

     Anissa le lui rendit et vint s'asseoir sur le transat à côté d'elle. Son sourire s'élargit lorsqu'elle constata que Jemma avait aussi mis une robe noire qui lui arrivait au-dessus des genoux.

— Exact ! Qu'est-ce que tu fais toute seule ici ?

— Je fuis Angèle, elle parle beaucoup trop !

     Elle rit avant de reprendre.

— Alors, qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ?

— J'ai travaillé sur ma nouvelle collection et j'ai finalisé certaines tenues. Et toi, depuis ce  matin ?

— Pas grand-chose ! avoua Jemma. Pour être honnête, quand je suis partie de ton bungalow, je suis allée directement me recoucher. L'alcool a eu raison de moi.

     Anissa se trouva soulagée de voir qu'il n'y avait pas de gêne entre elles. Jemma revint même sur la soirée qu'elles avaient passée ensemble tout naturellement.

— Alors, tu as bien aimé hier soir ? J'ai tout de même eu l'honneur d'être ta première fois.

— Honnêtement, j'ai trouvé ça super. C'est différent d'avec un homme, et, c'était une bonne expérience.

— Je suis contente de te l'entendre dire. J'ai aussi beaucoup apprécié le moment.

— Mais je peux te poser une question ?

— Fais-toi plaisir ma belle.

— Comment tu as su que tu préférais les femmes ?

     Jemma soutint le regard d'Anissa, intriguée.

— Pourquoi cette question ?

— Je me demandais parce que moi-même je ne pensais pas tenter quoi que ce soit avec une femme avant-hier soir.

     Jemma prit soudainement un air plus sérieux et un rictus se forma au coin de sa bouche. Elle sembla chercher ses mots quelques secondes.

— Je te l'avoue, je me le suis d'abord caché à moi-même. J'étais dans le déni total, je ne pouvais pas me dire que j'étais attirée par les femmes. J'ai été élevée dans une famille catholique avec des amis qui crachent sur les lesbiennes alors tu comprends qu'en faire partie me semblait inconcevable. Mais, je pense que différents événements dans ma vie m'ont amené à le devenir, je ne l'ai pas toujours été.

— Ah oui ? Ce sont donc tes expériences qui ont changé ton orientation sexuelle ?

— J'ai toujours aimé les femmes au fond de moi. Mais je pense que ce qui m'en a fait prendre conscience c'est un dégoût profond de l'homme. Je suis tombée sur des mecs qui ne me méritaient pas et qui ne reconnaissaient pas ma valeur ou celle de n'importe quelle autre femme d'ailleurs. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir cherché... Des bouts de viande en solde et à celui qui chopera la plus bonne, la plus belle, la plus inatteignable. Et, pour être inatteignable, ça je l'étais, affirma Jemma avec conviction. Mais je n'ai pas envie de t'embêter avec mes histoires. Ce n'est pas une période très gaie de ma vie.

     Anissa lui assura qu'elle ne la ferait taire pour rien au monde. Elle aimait bien quand les gens lui racontaient leur vécu, ça lui rappelait que tout ne tournait pas autour de sa personne.

— Eh bien, tu vois, beaucoup de gens m'ont dit de la fermer quand j'avais besoin de me confier. Je dirais que la chose qui m'a fait goûter à ce sentiment d'abandon a été ma première vraie relation. Tu sais celle qui te fait penser que la vie est belle, celle qui t'aveugle et t'isole, celle qui te donne goût à l'amour. Si bien que tu en deviens dépendant, que ton pire cauchemar serait de perdre la source même qui t'abreuve et te désaltère quand tu meurs de soif. Mais, avec du recul, cette relation fait partie des plus grosses illusions de ta vie.

     Malgré son calme apparent, le ton de sa voix trahissait son chagrin. Anissa, suspendue à ses lèvres, en eut le cœur serré.

— Oui, j'ai connu ça, également.

     Elle la vit inspirer profondément et l'entendit s'éclaircir la gorge. Ces mots semblaient difficiles à sortir de sa bouche. Son regard se fit plus dur.

— Et bien moi, par peur de perdre celui que j'aimais et que je pensais sincère, j'ai accepté sous la contrainte de faire ma première fois avec ce garçon. Je ne me sentais pas prête mais il m'a forcé la main en me disant que de toute manière si je n'acceptais pas, il me quittait. Perdre la source de mon bonheur, même si inconstant qu'il était ? Je l'ai vécu comme ... comme un viol, voilà ce que c'était et toutes les fois qui ont suivi. Il m'a détruite.

— Tu avais quel âge ?

— 14 ans.

     Anissa ne put détacher son regard de la jeune femme. Son cœur se brisa à la vue de cette dernière qui avait laissé se détacher ces deux derniers mots, comme à contre cœur. Elle en souffrait encore c'était évident. C'était de ces choses qui ne s'effacent pas avec le temps, qui ne guérissent pas, avec lesquelles on apprend juste à vivre.

     Le regard fixe vers l'horizon, elle la vit déglutir avant de reprendre.

— Quelle foutaise cette putain d'histoire de premier amour... Mais que ce soit à 14 ou même à 26, il n'y a aucune différence, le sentiment d'être sale et impuissante reste le même.

— Tu ne devrais jamais te sentir sale pour l'horreur que quelqu'un d'autre t'a infligée. Jamais. Mais c'est dingue, quand on te voit comme ça, la femme forte et assumée que tu es devenue, on ne se dit pas que tu as un jour été à des année- lumières de celle que tu es maintenant.

— On a tous des histoires personnelles. Certaines sont plus joyeuses que d'autres. Mais je n'en aurais jamais honte, elles ont fait de moi ce que je suis et c'est pour ça que je te les raconte aujourd'hui. Et puis, je n'ai pas non plus de regrets et je ne pourrais de toute façon jamais revenir en arrière. J'ai au moins compris que cette manière de traiter quelqu'un n'est pas de l'amour et ne devrait jamais être acceptée.

— Tu es incroyable. J'admire ton recul et ta façon de voir les choses. Et avec cette ordure, ça s'est terminé comment ?

     Jemma se tourna vers la jeune femme, un sourire en coin fugace.

— Il m'a quitté. Je l'ai revu quelques années plus tard et, je lui ai fait bouffer ses couilles.

— Comment ça ? demanda Anissa stupéfaite.

— J'ai pris confiance en moi et de l'assurance entre-temps, et ma rage n'a fait que grandir. Plus je m'émancipais, et plus je me rendais compte de cette année de calvaire que j'avais subie à ses côtés. La dernière fois que je l'ai vu c'était au tribunal pour son procès. Il a passé moins de temps au bagne que t'en passes dans la case prison du Monopoly mais ses proches ont tout de même pu voir son vrai visage.

— Au moins tu as obtenu gain de cause ce qui n'est pas toujours le cas.

    Jemma hocha la tête lentement.

— Et toi alors, des histoires personnelles ? Vas-y si tu veux en parler, c'est le bon moment tant qu'on y est.

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant