Chapitre 73

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     De bon matin, Anissa était déjà affairée à son travail sur la terrasse. Clara et elle étaient revenues assez tôt de la soirée, peu de temps après sa discussion avec Aymen. Clarke, lui, ne semblait pas vouloir rentrer au vu de l'interrogatoire qui l'attendait. C'est ce qu'avait pensé Anissa du moins quand elle l'avait vu se resservir un énième verre et prendre d'assaut la piste avec Romuald. La voix de Clara la tira de ses pensées.

— Du coup tu ne viens pas cet après-midi ?

— Non. Ce soir ce sera déjà assez. Il faut que je termine de dessiner quelques détails, je n'en ai plus pour très longtemps.

— Dommage, ça t'aurait un peu changé d'air.

— Ne t'en fais pas. Le cadre ici est déjà parfait. J'essayerai de ne pas arriver trop tard.

     Aujourd'hui, le petit groupe allait se balader sur le lagon avant de trouver un motu pour les accueillir le reste de la journée. Au programme, baignade, feu de camp et fête sur la plage. Du moins pas pour Anissa dont le visage se renfrogna en entendant la voix mielleuse de Mélonie dans le salon.

— Oui, encore désolée de débarquer à l'improviste comme ça, dit-elle à Clara en pénétrant sur la terrasse. Tiens, salut Anissa, ça va bien ?

— Ça va et toi ? répondit la jeune femme tout en relevant la tête de son travail.

     Elle croisa le regard tendu de Clara restée au salon. Toutes les deux avaient vite compris pourquoi Mélonie se tenait devant elle avec un sourire faussement sympathique plaqué sur le visage. Anissa relâcha alors son crayon et se renversa sur le dossier de sa chaise pour se concentrer sur cette visite plus que déplaisante.

— Ça va merci. Je peux ? demanda cette dernière en désignant la chaise en face de son interlocutrice. Je suis désolée de venir te déranger alors que tu travailles.

— Non, il n'y a pas de problème.

    Tant que tu ne me tiens pas la jambe deux heures.

     Mélonie s'assit alors en face d'elle et croisa les jambes. Elle la fixa d'un regard soupçonneux et sa bouche pincée trahit une légère pointe d'inquiétude.

— D'accord, merci. Je serai rapide. Je sais que ça peut paraître étrange mais j'ai quelques questions à propos de Clarke. J'ai cru comprendre que vous vous étiez rencontrés à une soirée la semaine dernière, jeudi c'est bien ça ? se renseigna Mélonie d'une voix douce.

     Anissa acquiesça d'un regard nonchalant. Elle ne savait pas sur quel pied danser avec cette femme dont les cernes soulignaient le dessous des yeux. Son carré châtain et ses lunettes rondes lui donnaient un air dur, qui collait très mal avec le ton employé par cette dernière.

     Mais Anissa ne put s'empêcher au fond d'avoir de la peine pour elle. Clarke l'avait tout de même trompée, s'arrêtant seulement quand le temps le lui avait dicté. Et s'il avait menti ? Et si Mélonie ne l'avait jamais trompé ? Et si elle n'avait pas le caractère que son fiancé lui attribuait la veille ? Tout aurait alors une autre saveur. Car Anissa avait peut-être juste été aveuglée par un physique plus que plaisant, des phrases bien tournées et un peu d'émotion pour faire passer la pilule.

     La jeune femme commença à être envahie par la crainte, celle d'aider et de couvrir un homme faux jusqu'à l'os. Elle regretta de ne pas avoir plus questionné Clarke sur toute cette histoire et de ne pas lui avoir demandé des preuves où n'importe quoi qui puissent appuyer ses propos... Mais impossible pour elle de tout avouer à Mélonie à ce moment-là, rien n'était sûr et il se pouvait qu'elle se trompe. Anissa décida donc de continuer à le protéger. Mais, elle en reparlerait à Clarke et prendrait une décision par la suite.

— Et comment ça s'est passé ?

— J'étais allée boire un verre avec Romuald. Il était saoul et Clarke m'a aidé à le raccompagner à sa chambre.

— C'est tout ? Et après ça ?

— Après ça ? répéta Anissa qui avançait à tâtons.

— Oui, enfin je veux dire qu'il n'a rien dit de spécial, il n'a pas eu un quelconque geste envers toi ? Vous êtes sortis de la chambre de Romuald et ça en est resté là ?

     La jeune femme se tordait les mains, prise d'une fiévreuse activité. Anissa pencha légèrement la tête sur son épaule et la regarda sans ciller.

— Oui. Qu'est-ce que tu voudrais qu'il se passe d'autre ? Romuald a vomi et on a appelé quelqu'un pour nettoyer.

— Oui d'accord, ça Clarke me l'a dit. Et après, vous vous êtes revus ?

— Au sein de l'hôtel quelques fois.

— Combien ?

     Anissa haussa les épaules.

— Je n'en sais rien.

— Et c'était de longues discussions ou juste en coup de vent ? Il faut que je sache, tu comprends. Avec ce que j'ai appris hier, j'ai très peur. Il s'est tout de même présenté à toi comme si vous ne vous connaissiez pas. J'ai déjà eu du mal à lui accorder ma confiance car Clarke est un homme qui plaît et qui aime le savoir. Et c'est difficile pour moi avec toutes ces femmes autour de lui. Donc du coup ?

     Anissa se racla la gorge. Elle eut un pincement au cœur en constatant que cette description collait parfaitement bien au fiancé de Mélonie. Tout en cherchant ses mots, elle avança sa chaise près de la table et soutint le regard de son interlocutrice.

— En coup de vent, lâcha-t-elle d'une voix désincarnée.

— D'accord. J'espère que tu me dis la vérité car je serais blessée d'apprendre qu'il y a des choses que tu me caches. Et est-ce qu'il t'a parlé de moi ?

— Avant que tu arrives ?

— Oui.

— Laisse-moi réfléchir... Non, déclara placidement Anissa.

— Ah oui et pourquoi ? Je partage sa vie depuis deux ans tout de même, nos liens sont forts.

— On a parlé en coup de vent Mélonie, je te l'ai dit. Je ne connais pas sa vie.

     Bien que tiraillée, Anissa commençait à être agacée par toutes ses questions et sa soudaine gentillesse hypocrite. Car malgré tout, Mélonie ne l'avait jamais apprécié, cela se voyait. C'était peut-être une des seules choses sur laquelle Clarke avait dit vrai...

— Bien. Et est-ce que tu l'as vu en compagnie d'autres femmes ? Tu me le dirais ?

     Anissa fit non de la tête, n'ayant plus le courage de parler. Non, mais laisse-moi tranquille !

— Bon écoute, j'ai du travail. Je ne veux pas te mettre à la porte mais je sens que ton interrogatoire va durer encore longtemps, dit Anissa tout en se levant pour l'inviter à faire de même.

     Mélonie joua la femme surprise et confuse.

— Oh, oui pardon ! Je dois sans doute te déranger.

— Ça va, ne t'en fais pas. Mais je pense t'avoir tout dit.

     Anissa retourna au salon. Mélonie la suivit et se fit raccompagner jusqu'à la porte d'entrée.

— Merci encore et excuse moi sincèrement du dérangement. C'est très gentil de ta part. De toute manière Clarke sait très bien ce qui l'attend s'il s'égare.

— Il n'y a pas de quoi, à la prochaine Mélonie, dit Anissa tout en refermant la porte et en s'y adossant.

     Attends, s'il s'égare de quoi ?

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant