Chapitre 86

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     Les rayons du soleil qui venaient taper sur son visage la réveillèrent. Ankylosée et les membres flageolants, Anissa peina à s'accouder. Elle regarda autour d'elle. Clarke n'était plus là. Quelle heure était-il ? Elle se leva précipitamment, ce qui lui arracha une grimace, et attrapa son téléphone : 11h00.

— Merde ! maugréa-t-elle.

     À cette heure-ci, Mélonie devait être rentrée, tout comme Clara. Pourtant, aucune trace de son amie dans le bungalow. Anissa se rendit sur la terrasse prudemment pour observer l'autre côté du lagon. Les fenêtres de leur salon étaient ouvertes, il devait sûrement y avoir du monde à l'intérieur.

     Anissa se fit violence pour ne pas rester à épier leurs moindres faits et gestes tout l'après-midi. Il fallait qu'elle finisse son travail coûte que coûte, car malgré la beauté environnante, elle ne s'y sentait plus à l'aise. La jeune femme avait la boule au ventre depuis la veille et il y avait bon nombre de visages qu'elle n'avait pas envie de revoir. Elle espérait juste être tranquille pour le reste de la journée sans avoir à user de sa voix pour se défendre.

     L'après-midi défila vite. Anissa se rendit compte qu'elle n'avait donné que peu de nouvelles à Anthony Lornel, son associé. Elle lui envoya un message pour le prévenir qu'elle rentrait demain.

     Anissa se remémora leur laborieuse discussion qui remontait au jour où elle avait décidé de se rendre en boîte. La première soirée où la jeune femme s'était rapprochée de Clarke. Le temps où elle ne le connaissait pas encore, ni lui, ni sa femme, ni son histoire. Cela parut lui remonter à une éternité. Bien des choses s'étaient passées depuis...

     Elle leva alors la tête de son travail pour observer l'autre côté du lagon. Étonnement, il n'y avait pas eu d'agitation en face de toute l'après-midi. Et c'est en entendant la porte d'entrée claquer qu'elle s'aperçut que Clara venait enfin de rentrer.

— Tu m'avais dit que tu rentrerais ce matin, lui reprocha Anissa en la rejoignant dans l'entrée du bungalow.

     Clara était occupée à retirer ses sandales tout en se soutenant au mur.

— C'est ce que j'ai fait. Mais tu dormais comme un bébé, j'ai préféré ne pas te réveiller.

— Et tu étais où tout l'après-midi ?

— Juste en face, figure-toi. Mélonie est venue frapper à la porte ce matin.

— Qu'est-ce qu'elle voulait ? questionna Anissa agacée.

— Du réconfort. Et sans doute aussi vérifier où était Clarke. On ne l'a pas vu de la journée.

     À l'évocation de ce prénom, Anissa entendit le sang battre derrière ses tympans. Elle hésita un instant avant de lui avouer coupablement :

— Il a dormi ici cette nuit.

     Clara s'arrêta de retirer ses sandales et dévisagea son amie avec des yeux exorbités.

— Anissa ?

— Non, il ne s'est rien passé qu'est-ce que tu t'imagines ? Ce n'était vraiment pas le moment. Il a dormi sur le canapé.

— Et tu ne sais pas ce qu'il a pu faire après ?

— Quand je me suis réveillée il n'était déjà plus là. Il est sans doute allé faire un tour pour se changer les idées, peut-être même qu'il est parti voir Romuald. Je ne pense pas qu'il veuille se confronter à Mélonie dans l'immédiat.

— Il devra pourtant bien le faire à un moment ou un autre. D'ailleurs, elle m'a tenu la jambe toute la journée avec ses histoires ! Je n'en peux plus, depuis cinq heures ce matin elle me parle de lui et de leur couple, se plaint Clara en se rendant dans la cuisine. J'ai bien besoin d'un café.

     Anissa la suivit, friande d'informations.

— Elle t'a parlé de moi ?

— Écoute, dit fermement Clara en allumant la cafetière. Tout ce qu'elle a pu dire sur toi sont les mots d'une femme meurtrie et jalouse qui n'a pas confiance en son copain. Il n'y a aucune utilité à ce que je te les rapporte, ça ne doit pas te tracasser, c'est son problème. Et celui de Clarke en passant. Tu as assez trinqué comme ça, je serais une bien mauvaise amie si je te racontais ne serait-ce qu'un mot de notre discussion lassante. Je te connais ma chérie, tu vaux bien mieux que tout ça.

— Tu as raison, à quoi bon savoir finalement.

     Elle ne s'attendait pas à une si belle réponse. C'était sûrement la meilleure que Clara avait à lui offrir. Connaître les mots que Mélonie avait dits à son égard pour quoi ? Culpabiliser, s'énerver, sentir la boule au fond de son ventre se nouer davantage ? À quoi bon accorder autant d'importance à cette histoire, surtout si elle se terminait dans les heures à suivre.

— Tu en veux un ?

     C'est un café à la main que les deux amies s'assirent sur le lit à baldaquin de la terrasse. Anissa sentie que c'était le bon moment pour lui annoncer sa décision.

— Je pense partir lundi.

     Clara manqua de s'étouffer avec sa gorgée de café. Elle toussa un instant puis se reprit.

— Demain ? Mais ça ne devait pas être mercredi ?

— Si, mais j'ai terminé mon travail ici. Il doit me rester une heure au maximum pour finir. Et je n'ai plus envie de rester. Je n'en vois pas l'intérêt et tu vas passer tes soirées sur le yacht.

— Mais toi aussi ma chérie. On s'en fout de Mélonie !

— Je n'en ai plus envie. Et puis il me reste encore beaucoup de travail à Paris. Je pourrais mieux m'organiser comme ça.

     Le visage de Clara d'habitude si jovial se referma. Les mots de son amie la tracassaient.

— Mais, je peux rester avec toi ici. On se fera des soirées ensemble, ça ne me dérange pas.

— Non, vraiment, c'est mieux comme ça je pense. Pour mon travail, l'ambiance, ma tranquillité, et surtout pour t'éviter d'être partagée entre plusieurs personnes. Il faut que je change mon billet d'avion. Je pense qu'ils n'y verront pas de problème.

     Clara sembla comprendre sa position, même si sa décision l'attristait.

— Si c'est ton choix. Mais tu peux encore changer d'avis. Ça m'embêterait que tu partes. On se sera vues à peine une semaine finalement.

— Je viendrais te voir dans le sud quand tout sera fini. Et tu auras une place au premier rang de mon défilé, tu le sais.

— Oh oui ! J'ai tellement hâte que tu la sortes cette collection.

     Clara lui sourit affectueusement. La fierté était sensible dans sa voix. Elle était admirative de la capacité de son amie à rebondir face aux difficultés.

— Je me suis tellement appliquée, j'espère que ça va plaire...

— Tu es talentueuse dans ce que tu fais Anissa. Ça va être incroyable, je ne m'en fais pas pour   toi !

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant