Chapitre 71

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—  Je t'en prie, dis quelque chose.

     Son ton était suppliant. Anissa déglutit et ferma passagèrement les yeux pour tenter d'éclaircir son esprit en pleine confusion. Elle prit alors une profonde inspiration.

—  Elle te met la pression si je comprends bien ?

     Il hocha gravement la tête.

—  Je n'ai pas envie que tu penses que je me victimise, parce que ça reste elle la première victime. Mais c'est difficile à vivre.

     Elle due bien le reconnaître : Mélonie était une vraie plaie quand elle le voulait. Mais jamais Anissa ne penserait que c'était mérité car aucune femme ne devait être frappée pour quelque raison qu'il soit. Et puis, d'autres solutions existaient pour ne pas arriver à ces extrêmes.

—  Et pourquoi ne pas l'avoir quittée ? Elle harcèle ta famille et, maintenant te met la pression. Sérieusement, je ne sais pas pourquoi tu restes dans cette situation.

     Clarke se trouva soulagé de voir qu'elle ne le jugeait pas, même si elle n'en pensait pas moins, cela se voyait. Mais, elle était encore là et ne l'accablait pas. La culpabilité qui asseyait le jeune homme au quotidien s'en était déjà chargée pour elle depuis longtemps.

—  Je sais bien. Je l'aimais. Mais maintenant, je ne sais plus si c'est encore de l'amour. J'ai déjà essayé de partir, mais c'est une manipulatrice, tu l'as bien cernée. Dès que je la quitte, elle connaît mes cordes sensibles, elle sait comment m'atteindre et ce n'est pas aussi facile que ça.

—  Clarke, les choses sont compliquées seulement parce que tu décides qu'elles le sont.

     Il marqua un arrêt, s'humecta les lèvres et massa sa nuque d'une main. Le soupir lourd qui lui échappa ne sembla pas anodin. Anissa se rembrunit. Qu'est-ce qu'il va me dire encore ?

—  Pas dans ce cas-là non. Elle... elle a des messages incriminants sur ce qu'il s'est passé. Je sais très bien qu'elle n'hésitera pas à les donner à la police si je la quitte.

     Sa voix avait faibli et son corps s'était tendu à l'évocation de ce souvenir qui semblait particulièrement amer. Anissa ne s'attendait pas à un tel aveu. Garder un homme à ses côtés de cette façon ? Elle n'avait jamais rien entendu de tel dans sa vie. Son cœur bondit et l'air sembla s'être de nouveau raréfié, mais le dégoût et l'indignation en étaient cette fois-ci à l'origine.

—  Mais comment peut-on être aussi vicieuse ? C'est ton droit de partir si l'envie t'en prend. Vous avez tous les deux vos torts dans cette histoire, il n'est pas question que de toi ! Clarke, regarde-moi, ordonna-t-elle. Tu es heureux sérieusement ? Est-ce que tu es heureux dans ta relation ? Penses-tu que ta famille et tes amis sont heureux de te voir avec elle ?

—  Non, avoua-t-il d'une voix à peine audible. Bien sûr que non.

     Ses yeux s'étaient embués de larmes une fraction de seconde. La douleur avait contracté son visage, plissée son front. Et malgré les mensonges dont il avait fait preuve à son égard, Anissa sentit son cœur se serrer douloureusement dans sa poitrine. Les injustices la révoltaient, les histoires douloureuses l'attristaient.

—  Ce n'est pas de l'amour ça Clarke. Et ça n'en sera plus jamais. Je ne sais pas si tu as espoir qu'elle redevienne comme avant, comme au début de votre relation, mais sache que ça n'arrivera pas. Trop de gens perdent du temps car ils ont espoir. Parfois il faut mieux laisser tomber... Et quand elle t'a trompé, c'était avant ou après que votre relation se soit corsée ?

     Anissa s'accouda alors à la rambarde de ses deux bras, comme pour se soutenir de cet amas d'informations qui menaçait de l'écraser à tout moment. Elle craignait de ne pas pouvoir en supporter une nouvelle sans agir sur-le-champ. Le froid du métal l'arracha à ses pensées tourmentées et elle constata la différence avec son corps où le sang l'embrasait.

—  Après évidemment. Je ne serais jamais resté avec elle sinon. Mais maintenant je m'efface totalement. Je te parie que lorsque je vais rentrer, ça va être pareil qu'hier soir, on va encore s'embrouiller.

—  À quel sujet ?

—  Quand on a parlé de la soirée où on s'est rencontré toi et moi.

—  Je n'ai rien dit d'accablant. J'aurais pu.

—  Oui, je sais. Mais je n'en avais pas parlé à Mélonie et je lui avais dit que je t'avais croisé quelques fois à l'hôtel, rien de plus.

     Un sourire nerveux se plaqua sur le visage d'Anissa.

—  Elle m'a en grippe, non ?

—  Ah, tu as remarqué ?

—  Oui, ce n'est pas flagrant, mais certains regards et certains mots ne trompent pas.

—  Après, c'est peut-être justifié vu ce qu'il s'est passé entre nous.

     Anissa tressaillit. Elle se racla rapidement la gorge pour retrouver de l'aplomb : l'entendre dire nous lui faisait toujours beaucoup d'effet. Mais étrangement, cela sonnait différemment cette fois-ci, différemment de la fois au bar de l'hôtel où elle en avait presque eu la nausée lorsque Clarke l'avait prononcé. Il faudrait qu'elle reconsidère ce qu'ils s'étaient passés entre eux. Quand-elle y verrait plus clair du moins, à tête reposée.

—  Il fallait dans tous les cas s'attendre à ce qu'elle découvre des choses. C'est plutôt soft pour l'instant ; estime- toi chanceux. Et pour ce qu'elle a appris concernant la soirée, il y a toujours moyen de rattraper la partie.

—  J'ai hâte..., ironisa-t-il d'une voix résignée.

—  Arrête Clarke. Quand on ne vous voit pas ensemble, tu n'as rien d'un faible. Tu as une prestance, du caractère et ce n'est pas les prétendantes qui doivent manquer. Tu te gâches vraiment dans cette relation.

     Clarke posa les yeux quelques secondes sur Anissa pour se convaincre que ces mots venaient réellement de sortir de la bouche de la jeune femme. La joie qui le traversa sembla transparaître dans le pourtour de ses yeux.

—  Mauvaise pioche, comme on dit.

—  Tu as eu la moins bonne carte du jeu.

     Depuis un moment maintenant, la bouche de Clarke menaçait de sourire franchement. L'humour avait adouci son regard.

—  C'est comme ça que tu vois la vie, comme un jeu ?

—  Pas toi ? Un jeu qui demande stratégie, intelligence et gentillesse également, malgré ce que l'on peut croire. Un jeu où il faut toujours surveiller ses arrières, replacer ses pions pour progresser plus loin et augmenter en puissance.

     Clarke souffla et s'allongea sur ses avant-bras.

—  Moi, je perds totalement, y'a pas à dire.

—  Oui, mais tu n'as pas encore fini la partie.

—  Je ne sais même plus sous quel angle l'aborder et quel prochain coup jouer.

—  Prendre son adversaire à son propre jeu peut être une bonne technique. Ça a déjà fait ses preuves. Ne sois pas défaitiste.

—  Il faut être optimiste du coup.

     Anissa acquiesça.

—  Cela aide à garder la tête froide pour mieux rebondir.

—  Oui, mais Mélonie, c'est une adversaire de taille.

—  Je l'emmerde ta Mélonie, s'amusa Anissa.

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant