Chapitre 11

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     Attablé au bar, le jeune homme remuait sa jambe avec de petits mouvements rapides, laissant paraître une légère nervosité. Il ne cessait de jeter des coups d'oeil furtifs vers le hall de l'hôtel. Son visage, lui, traduisait l'inquiétude : celle de ne pas voir venir la plus belle femme qu'il n'avait jamais invitée à boire un verre. Il en était d'ailleurs lui-même à son troisième tant il était anxieux. À peine son mojito fini, il en commanda immédiatement un autre d'un signe de la main.

     Romuald commençait à avoir chaud avec cet alcool dans le sang et ce stress qui montait de plus en plus. Sentant une légère goutte perler à son front, il l'essuya d'un geste rapide et regarda pour la énième fois sa montre. 21h13. Il releva les yeux : elle était là.

     Sa robe lui allait à ravir et tout chez elle était fait pour lui plaire. Romuald se sentit misérable à côté. Pourtant, il avait mis le paquet en associant sa plus belle chemise noire à un pantalon coupe droite et une paire de Mocassins.

    Il but d'un geste vif son nouveau verre et se leva avec empressement.

— Alice ! Te voilà ! Tu es ravissante ! J'espère que ça va bien ! s'exclama-t-il tout en regagnant son assurance en une fraction de seconde.

     Anissa perdit quant à elle peu à peu son courage. Son soudain et précipité besoin de la tutoyer lui déplut. Elle garda cependant la face et dissimula son embarras par un sourire emprunté. Dans quoi est-ce que je m'embarque ?

— Oui, très bien merci et vous ?

— On ne peut mieux ! répondit-il tout en l'entraînant dehors. Tu peux me tutoyer tu sais.

— J'ai un peu de mal avec les gens que je ne connais pas.

— D'accord, pas de soucis. Ça viendra. Alors, on va plutôt au Miestro Bar ou au Bar Beach ?

— Miestro Bar, ça me va, approuva Anissa.

     Tous deux partirent donc en direction du fameux bar qui dominait le lagon. S'installant à une table en bois épurée, ils commencèrent à discuter après avoir commandé à boire.

— Il y a peu de monde ici, c'est agréable, remarqua Anissa.

     Bien loin d'être une coïncidence anodine, elle avait justement opté pour ce bar dans le but d'être peu aperçue en sa compagnie.

— C'est vrai ! Et la vue est splendide. Alors, tu es ici depuis peu de temps si je ne me trompe pas ?

— Oui c'est juste, je suis arrivée hier. Et vous, quand repartez-vous ? demanda Anissa le plus innocemment possible.

— Oh, eh bien je quitte ce Paradis dans un petit bout de temps. Je suis arrivé il y a presque une semaine maintenant, j'en repars dans deux, le temps de gérer la paperasse pour ma nouvelle maison. Et toi, tu restes combien de temps jolie fleur ?

— À vrai dire je ne sais pas encore, confia Anissa, quelque peu déconcertée par le surnom dont elle venait d'être victime. Je n'ai pas pris de billet de retour, cela dépendra de l'avancée de mon travail. Mais je ne compte pas rester plus de trois semaines, après je me mettrai en retard sur mon planning.

— Je vois. Tu es styliste tu mas dit ; c'est ça non ?

     Anissa acquiesça lentement, sur la réserve.

— À ce propos, j'ai discuté avec un couple ce matin et ils m'ont parlé d'une styliste au sein de l'hôtel. Une certaine Anissa Morau. J'ai fait quelques recherches et, c'était bien toi, alors pourquoi m'avoir dit que tu t'appelais Alice ? questionna Romuald intrigué.

     La jeune femme, prise de court, regarda rapidement les alentours comme pour trouver une échappatoire. Rejoindre ce couple âgé dont la conversation était inexistante à la table sur sa gauche lui aurait été préférable. Elle s'éclaircit la gorge et plaqua un sourire factice sur son visage.

— Des recherches ? Eh bah Alice, c'est un surnom au travail. Mon vrai prénom c'est Anissa, dit lentement la jeune femme pour se laisser le temps de réfléchir à son mensonge. Mais vous pouvez m'appeler par le prénom qui vous convient.

— Ah ! D'accord, très bien. Alors Anissa du coup, tu as 26 ans, tu habites dans le 16ème à Paris et ta dernière relation date d'il y a deux ans, si je ne me trompe pas, enchaîna Romuald dans un élan de paroles.

     Anissa resta quelques secondes interloquée, le visage hagard. Il avait retenu le peu d'informations qu'elle communiquait encore à la presse à propos de sa vie privée. Elle commençait à se dire que devant elle se tenait un homme d'une lourdeur de taille. Bien que décontenancée, la jeune femme ne se voyait pas abréger ce rendez-vous après avoir accepté cette invitation par politesse. Heureusement pour elle, l'arrivée des boissons lui laissa une seconde de répit.

— C'est dingue, je ne carbure plus qu'au mojito ici, comme quand j'étais jeune, s'amusa Romuald en attaquant sans perdre de temps sa consommation à peine apportée.

— Ah oui ? Vous en êtes à votre combien ? demanda la jeune femme, un peu inquiète.

     Romuald fronça les sourcils comme pour réfléchir à la réponse la plus proche de la vérité qui lui viendrait en tête.

— Oh ça doit être mon troisième, répondit-il en n'étant plus sûr de rien. Mais ne t'en fais pas, personne ne tient mieux l'alcool que moi.

— Si vous le dîtes. Et sinon, je vois que vous vous êtes bien renseigné à mon sujet. Mais qu'en est-il de vous ?

     Anissa laissa aller ses yeux sur la pomme d'Adam de Romuald qui montait et descendait en même temps qu'il avalait des gorgées de sa boisson. En attente de sa réponse, elle l'observa reposer son verre et vit sa langue passer rapidement sur ses lèvres fines. Anissa détourna le regard, mal à l 'aise d'observer ainsi son visage.

— Je travaille dans l'entreprise de plomberie de mon père. Tu connais peut-être Amène ton boulon. Ça marche vraiment bien et y'a beaucoup d'argent à se faire. Bientôt je prendrais les rênes de l'entreprise. C'est super cool non ?

     Un fils à papa. Bon, il est temps de passer aux choses sérieuses !

— Ah ! C'est très intéressant. Moi, outre ma carrière dans la mode qui j'espère va durer, je pense beaucoup à me marier très prochainement. Et pourquoi pas avoir quatre, ou cinq même voir six enfants. J'adore les enfants ! Ils sont adorables, non ? S'occuper d'eux, de leurs couches, des pleurs, des caprices, c'est vraiment un rêve pour moi plus que toute chose au monde.

     Anissa lui adressa son plus grand sourire. Il l'observa quelques secondes d'un regard niais, laissant la jeune femme espérer qu'elle avait fait mouche. Puis il reprit le cours de la discussion avec vivacité :

— C'est vrai ? Je pense exactement la même chose ! Quel bonheur de fonder une famille, et d'avoir sa petite femme pour soi à la maison qui...

     Anissa coupa court. Elle les voyait venir de très loin, ces phrases machistes qui énoncent que la femme se doit de tenir la maison, faire la cuisine et s'occuper des enfants. Elle avait en grippe ces hommes dont les pensées appartenaient encore au Moyen Âge.

     De plus, elle ne s'attendait vraiment pas à ce qu'il approuve ses dires et cela rendait le fait de se débarrasser de lui beaucoup plus compliqué. Il était vraiment prêt à tout ! Il fallait qu'elle lui dise franchement le fond de sa pensée. Sinon, il prendrait ces « points communs » pour une invitation à continuer le dialogue.

     Mais elle n'en eu pas le temps. Il venait de s'offrir à sa vue.

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant