Chapitre 33

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     Anissa se rembrunit. La pensée exquise et aphrodisiaque de sentir Clarke sur sa peau fit se dresser chaque poil de son corps. Elle balayait avec peine cette image. Le ton de sa voix trahit son agacement.

— J'emmerde le misogyne qui a décrété qu'une femme qui se respecte ne devrait pas coucher le premier soir. Et non ne t'inquiète pas, ça ne risque pas de se faire ! Il s'est passé des péripéties, je te raconterais tout en détails ne t'en fais pas !

— Je veux tout savoir de A à Z ! Mais ne te laisse pas trop charmer par de belles paroles, on les connaît les hommes ! Même si ça fais quelques mois que ta cramouille ne s'est rien mis sous la dent.

— La ferme.

     Leurs rires se mélangèrent. Anissa se remémora certains détails lorsqu'elle reprit ses esprits. Sa dernière conquête remontait à l'hiver dernier. Présentés par le biais d'amis en commun, c'était allé très vite entre eux et ça n'avait été l'affaire que de quelques soirs avant qu'elle décide d'arrêter de le voir. Un homme charmant mais une confiance en lui démesurée. Comme pas mal de ceux qui défilaient dans la vie d'Anissa depuis deux ans. Les hommes ne représentaient qu'un plus dans sa vie. Et encore. Elle se sentait déjà complète par sa seule présence.

— Je serai prudente même s'il sait y faire.

— Je sais, tu n'es pas du genre à te faire avoir. La prochaine fois qu'on se voit ce sera sous le soleil j'ai si hâte !

     Un bruit fracassant s'échappa du téléphone.

— David n'est pas au travail ?

— Oh si, ça c'est Mélonie ! Elle est venue me chercher pour aller à l'aéroport. Ça doit faire vingt minutes que je la fais poiroter, je crois qu'elle commence à tout casser.

     Anissa eut du mal à cacher son agacement. Elle soupira tandis qu'un rictus de contrariété traversa fugacement son visage.

— Elle vient avec toi finalement ?

— Oui ! Elle a changé d'avis à la dernière minute. Quand elle a su que les autres allaient nous rejoindre en bateau dans le courant de la semaine, elle a décidé de venir. Il y a son copain avec eux si j'ai bien compris.

— D'accord, j'espère qu'elle ne sera pas trop fatigante. Bon, je vais te laisser, je ne veux pas te faire louper ton vol !

     Après quelques mots de tendresses amicales, la jeune femme raccrocha, légèrement déçue. Elle n'avait pas réellement envie de voir arriver Mélonie. Cette dernière détestait Anissa sans raison valable. Elles ne s'étaient vues qu'une fois lors d'une soirée chez Clara mais cela avait suffi à cette femme pour la prendre en grippe. Encore une. Anissa ne les comptait plus.

     Mais c'était aussi une amie très proche de Clara, il faudrait qu'elle prenne sur elle. Point positif, elle pourrait travailler en sachant que Clara ne serait pas seule. D'autant plus que les trois femmes allaient par la suite changer d'hôtel pour se rapprocher d'amis qui allaient arriver avec leur yacht privé après avoir parcouru le Pacifique.

     Elle avait hâte de partir la semaine prochaine pour vivre directement au contact de l'eau. Mais un détail auquel elle n'avait pas pensé lui apparut alors : elle allait s'éloigner de Clarke ! Le quitter pour toujours. Cette pensée fit mal à la jeune femme. Elle n'en avait pas envie. Encore moins dans ces conditions. Et savoir qu'il ne serait jamais sien l'irrita. Son cuir chevelu commença à picoter. Mais elle ne voyait pas comment retourner vers lui, la honte l'accablait toujours, comme si quelque chose s'était brisé.

     Soupirant de cette nouvelle tournure que prenait leur histoire, Anissa se remit difficilement à la tâche après avoir fini son encas. Elle resta là à travailler tout le reste de la soirée. Les gens défilaient devant la jeune femme et elle les observait parfois lorsqu'elle manquait d'inspiration, cherchant un détail, une forme, une matière ou une couleur qui pourrait l'aiguiller.

     Il s'approchait d'une heure du matin lorsqu'elle finit sa journée, enfin satisfaite de ce qu'elle avait produit. Ne restait plus au bar qu'un couple légèrement éméché par l'alcool qui parlait un peu trop fort au goût d'Anissa. Elle rassembla alors ses affaires qu'elle avait dispersées partout sur la table et partit.

     Dans le domaine et le hall, un silence pesant régnait en maître. Ça en était presque gênant. Seul un gardien assis dans sa loge la regarda passer d'un oeil un peu trop insistant. Anissa fit mine de ne pas l'avoir vu et monta à l'étage.  Aucune euphorie, personne pour faire la fête ou s'amuser. La soirée d'hier   manqua à Anissa alors que la porte de la chambre se referma sur elle. Elle succomba rapidement à un sommeil profond et agité.

*

     Le soleil pénétra ses paupières. D'ostensibles rayons traversèrent les baies vitrées, annonçant au passage l'aube qui sévissait. Après plusieurs tentatives et devant tant d'insistance, ses yeux se résolurent enfin à s'ouvrir.  

     Lentement, il regarda autour de lui et ramena ses jambes vers le bord du lit. Il resta là, assis quelques minutes sur le matelas encore chaud, à caresser du bout de ses pieds le tapis de sa chambre.

     Pendant un temps, il admira la vue de l'hôtel sur le lagon. Décidément, il ne s'en lasserait jamais... Mais déjà tôt le matin, le jeune homme était absorbé par des préoccupations qui n'avaient eu de cesse ces derniers temps de lui traverser l'esprit. Il dut se faire violence pour les bannir de ses pensées et se dirigea vers la fenêtre dans le but de se changer les idées.

     Lorsqu'il fit coulisser les grandes baies vitrées, une douce brise pénétra dans sa chambre, caressant au passage sa peau. Ses poils frémirent légèrement au contact de cette agréable fraîcheur. Cependant, ce qui s'apprêtait à devenir une écrasante chaleur reprit très vite ses droits. Le soleil n'était pas bien haut dans le ciel mais déjà ses rayons réchauffaient l'espace, faisant au passage miroiter le lagon.

     Là, s'accoudant sur la rambarde blanche, les pieds sur le carrelage déjà tiède, le jeune homme put s'adonner à son passe-temps favori : contempler cette immensité bleue si majestueuse. L'embrassement de l'écume et de la rive s'harmonisait comme une douce mélodie venant charmer les oreilles attentives du spectateur. Ici, il pouvait penser à sa vie, ses ambitions et ses soucis. Qu'il s'y sentait bien, et qu'il faisant beau aujourd'hui... Malgré tout, une question lui revenait sans cesse : allait-il le faire ?

     Une fois prêt, il attrapa sa serviette de plage et claqua la porte en oubliant sa clef de chambre.

     Décidément, Clarke était bien préoccupé ce matin.

En corps de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant