~Sixty

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-"En conclusion, je suis le seul ici avec qui tu ne t'es pas encore disputé."

-"Je ne me suis pas disputé avec eux." Répéta Irène pour la millième fois.

-"Oui oui, c'est ça, tu peux toujours blablater dans le vide." Il balaya l'air de sa main. "En attendant, avec qui est-ce que tu restes un samedi après-midi ?"

-"Je venais chercher un manuel et tu étais dans la section que je souhaitais."

Il eut un ricanement, haussant les épaules en reposant son livre sur la table.

-"Alors cherche-le au lieu de te trouver des excuses." Rétorqua le garçon.

Elle s'avança alors pour tenter de trouver celui qu'elle cherchait parmi les immenses étagères.

Ses longs cheveux retombaient sur les tables sur lesquelles elle se tenait pour tenter d'apercevoir les titres plus en hauteur.

Elle le trouva alors, dans les étagères supérieures.

-"Anatomie d'une chute." Souffla-t-elle en tentant de l'attraper.

Elle sentit alors une ombre au-dessus d'elle et se tourna, le bassin s'appuyant contre la table, pour apercevoir la svelte silhouette de Mattheo au-dessus d'elle, le bras tendu vers l'étagère.

Leurs yeux se croisèrent tandis que le livre descendait jusqu'à sa main ouverte.

Elle sentait son bras contre son oreille droite, sentait son bassin se cogner contre le sien.

Ils étaient si proche et pourtant elle ne ressentait pas l'envie de s'écarter, certainement parce qu'elle avait confiance en lui comme elle avait confiance en n'importe lequel de ses amis.

Amis.

Depuis quand avait-elle associé ce mot à ce garçon qu'elle avait toujours pensé détester ? Depuis quand le simple fait de prononcer son prénom ne lui donnait plus des envies de cracher ?

Il avait ce visage qu'elle n'avait jamais vraiment pris le temps de regarder.
Sa peau mate parsemée de petites crevasses, ses cheveux foncés et négligés qui tombaient souvent sur son front, sa carrure maigre et raide, son visage de forme ovale, sa forte mâchoire, ses yeux onyx insondable et qui pourtant semblaient s'autoriser à révéler ses pensées uniquement à la jeune femme, et enfin sa cicatrice qui s'étendait de sa pommette droite jusqu'à sa mâchoire.

Elle ne savait pas d'où provenait cette cicatrice, n'avait jamais perçu l'intérêt de le lui demander. Elle était là, partie intégrante de son visage.

Elle sentait son torse se soulever tandis qu'il respirait, le bras toujours en l'air mais elle ne regardait pas ce qu'il tenait, fixait son visage avec tant de profondeur qu'il crût un instant que c'était tout ce dont elle arrivait à apercevoir au travers de ses cheveux noirs.

Leurs mains libres bougèrent au même moment.

Il décala ses mèches vers la droite pour observer sa tête et elle leva sa main jusqu'à frôler la cicatrice de son index.

Il reçut comme une décharge électrique lorsque leurs peaux se touchèrent et elle sentit le vent sur sa peau pâle lorsqu'il cala ses longues mèches derrière son oreille, laissant ses doigts glisser sur son cartilage.

Les yeux de la jeune femme s'agrandirent et il aperçut cet éclat dans ses pupilles océanes.

Elle laissa son index lentement passer sur la cicatrice comme si elle tentait de la soigner et lui sentait son doigt glacer tendrement réchauffer son visage.

Leurs souffles se mélangeaient juste devant leurs yeux plongés les uns dans les autres.

Elle clignait peu, il venait seulement de le remarquer. Sans doute parce qu'elle avait toujours eu peur que le moindre mouvement de sa part rappelait à sa mère à quel point elle ne méritait pas d'être en vie.

Il respirait peu, elle venait seulement de le remarquer. Sans doute parce qu'il avait toujours eu peur que le moindre souffle rappelerait à son père à quel point il était un bon-à-rien.

Le visage d'Irène se tendit immédiatement et il la lâcha, comprenant le signal.

Elle se raidit et attrapa le livre de ses mains avant de tenter de se décaler mais il l'attrapa par le bassin et le colla au sien pour la coincer contre la table.

Elle garda la tête baissée, de nouveau cachée sous sa masse chevelue.

-"J'avais autre chose à te dire, Irène." Fit le garçon d'une voix constante. "Je ne serais pas là la semaine prochaine, mon père veut me voir."

Il ne savait pas vraiment ce qu'il attendait face à elle. Peut-être une réaction, mais elle n'en fit rien, resta muette alors qu'elle était très clairement mal à l'aise.

Finalement en un soupir il la lâcha et se recula, retournant s'asseoir sur sa chaise tandis qu'elle partait de l'allée à toute vitesse.

Il la regarda s'éloigner, avant de laisser sa tête retomber en arrière du dossier.

Il passa sa main sur son visage pour se le taper avant de s'arrêter dans son geste et de, lentement, la passer sur sa joue qu'elle avait touché.

Il fixa le plafond, refusant d'accepter la raison de son coeur si serré mais pourtant elle était bien évidente.

Il laissa sa main retomber le long de son corps affalé en un long et langoureux soupir.

-"Je te dis pas dans quelle merde tu m'as mis, Irène Zabini." Souffla le garçon pour lui-même.

Et en dehors de la bibliothèque, Irène tentait d'oublier toutes ces marques invisibles que ses mains lui avaient laissés.

Tenter d'oublier l'ivresse des brûlures sur son oreille et ses hanches cachées.

Nᴇᴍᴇsɪs [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant