Chapitre II

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Axel Grenat

  Je les ai vus, ses yeux glacés. Son regard reste ancré dans ma tête. Je suis autant intrigué que perturbé. À la base, ce n'était pas mon but d'être mêlé à ce genre d'affaires. Matthias m'a embarqué sans me demander mon consentement alors que je tapais ma meilleure sieste. Être dérangé pour ça, c'est si crétin et inutile. Seulement, je crois bien que ça ne me dérange plus au final. Je ne l’aurai pas sinon. Je lâche un rire amusé quand je repense à ce qu'elle m'a sorti. Cette réponse est légendaire. Enfin, peut-être pas aussi légendaire mais elle était totalement inattendue et imprévisible. Je dois avouer, que ça m'a pris de cours.
— Hé sérieusement, c'est quoi ce qu'elle nous a sorti la meuf ?
  Il y repense aussi, avec une tête d'imbécile. Coincé dans ses réflexions.
— Hé, il est beau le plafond ? Lancé-je.
— Quoi ?
  Je l’imite à regarder le plafond comme une mouche et aussitôt un ballon de basket fonce sur mon visage.
— Beau rattrapage ! S'incline-t-il. Mais plus sérieusement, c'est quoi ce qu'elle nous a sorti ?
— Qu'on devait prendre rendez-vous avec elle car elle n'aime pas parler à des imbéciles.
— Ah oui c'est ça ! Elle nous traite d'imbécile ? pouffe-t-il. Elle se prend pour qui…
  Cette femme m'intrigue. Son regard d'un bleu gris qu'on n'oublie pas, ses cheveux noirs qui se mélangent à la couleur de son sweat et sa peau blanche qui fait ressortir tout son mépris envers nous.  Elle a quelque chose dans le regard, une chose que jamais je ne pourrai oublier, ça vibre en moi comme un concert. J'ai l'impression d'être à nouveau en face d'elle quand mes paupières se ferment. Ce regard méprisant est hypnotisant.
— Pourquoi tu souris ?
  Il est blasé, suspicieux. Je suis son pote pourtant.
— Moi ? Je ne souris pas.
— Aucune idée. Ce n'est sûrement pas cette fille qui va te rendre heureux. Tout ce que t'aime c'est dormir en plus.
— Inès aussi. Tu l'as oublié ?
— Tiens, c'est vrai qu'elle existe aussi ? Mais tu préfères largement madame Catherine.
  Je lui lance immédiatement la balle qu'il rattrape de justesse.
  C'est vrai que cette fille me fait de l'effet. Mon regard s'est noyé dans les siens. Et, ils me disent quelque chose d'ailleurs. Je crois que je les ai déjà vus, mais je me demande, où ? J'ai une mémoire affreuse. Sauf pour ses paroles. C'est très perturbant de le savoir, il va falloir que je l'assume. J'ai un autre problème. Inès, ma copine. Tout l'université a dû parler de ce qu'il s'est passé. Je suppose. Les paroles ont tendance à être livrées plus vite que les colis. C'est indéniable. Il va falloir que je la rassure et rien que ça, me désespère.
  Mon téléphone vibre d'un coup dans ma poche droite. Je sursaute. Tiens, c'est elle. Et elle n'a pas mis longtemps avant d'exiger ma présence. Je soupire lorsque je m'imagine en face de son regard de glace, une véritable dominatrice. Je sens son aura depuis des kilomètres.
  Le vent fouette mon visage, les voitures me cassent les oreilles mais l'ambulance encore plus. C'est définitif, je vais finir sourds dans cette ville. Heureusement, l'odeur des pains tout chaud me calme. J'ignore pourquoi, c'est une odeur qui m'apaise. J'entends déjà le pain se déchirer, croustiller lorsqu'on le découpe, le goût me fait saliver d'avance. Mais je ne dois pas sortir de ma trajectoire. J'arrive bientôt au bar, je vais m'asseoir en face d'elle sans avoir fait le moindre achat à la boulangerie.
— Qu'est-ce qui t'a pris autant de temps ? Râle-t-elle, les bras croisés. Ne me dit pas que tu t'es encore arrêté dans une boulangerie ?
  Je compte placer un mot mais, pas le temps, je n'y arrive pas car je sais très bien que la vérité est sur le bout de ma langue. Elle sait que je suis retournée acheter à la boulangerie de Madame Catherine. Ses baguettes sont divines.
— Sérieusement, notre couple ne signifie rien pour toi ? Tu es prêt à louper quelques minutes avec moi pour une boulangerie ?
— Non, pas du tout ! Rigolé-je nerveusement. J'ai pensé à toi, regarde.
  Elle lâche un rire étouffé.
— Il ne reste que le croûton ! Je ne vaux que ça pour toi ? Pour ce qui se passe à l'université, j'espère que t'as une bonne excuse. T'as dragué une autre fille que moi ?
  Je me gratte la nuque pour m'attarder sur les passants qui marchent dans la rue.
— Non, je n'ai dragué personne. Tu es la seule qui compte pour moi.
  Suis-je légèrement dans l'exagération ? Oui possible, mais faut bien lui vendre du rêve et je ne veux pas passer à la casserole. Ce serait humiliant.
— Il y a intérêt. Ce serait gênant pour nous deux si tu me trompes, en public en plus. T'aurais un sacré culot, n'empêche, glousse-t-elle avant de boire une gorgée de son sirop alcoolisé. Alors, que s'est-il passé du coup ? ça devait être important pour que tu la saisisses par le bras, contre ton torse comme une scène à l'eau de rose…
  Je dégluti puis soupire. Je n'aurai pas dû faire ça. Inès est de nature jalouse et c'est une passionnée de romance. Alors sans excuse valable, je suis mort. Pourquoi je me suis mis avec elle  ? C'est vrai, elle a des formes d'enfer et sa beauté est remarquable. J'ai l'impression d'avoir Ariana Grande face à moi dès que je la vois. Pas que je sois un grand fan de la chanteuse, mais niveau physique c'est mon genre. Alors comme elle est inaccessible, autant prendre son sosie. J'aurai dû penser à la personnalité aussi. Car, cette femme assise devant moi, est classe mais aussi exigeante que jalouse. Elle ne passe pas non plus par quatre chemins lorsqu'il y a un problème. Je ne suis pas doué pour mentir. Les gros mensonges en tout cas, comme celui que je souhaite raconter mais ce serait si irréaliste qu'elle le verrait immédiatement.
— Bon, très bien je vais être franc.
— Tiens, ça change pour une fois, dit-elle en esquissant un sourire curieux tout en faisant taper ses ongles manucurés de couleur noir et blanche.
— Je me suis fait embarquer par Matthias.
— C'est tout ?
  Son sourire s'efface. Je suis mort. Soudain elle rigole. Je suis perdue. Aussitôt, elle redevient de marbre alors j'avale ma salive et une goutte de sueur descend lentement sur ma nuque. .
— T'es sérieux ? Arrête avec ton baratin. Tu aurais pu rester en retrait, non ?
— Si, évidemment mais je sais pas… ça me semblait…drôle.
  Désespérée, elle s'affaisse sur le siège, les yeux aux plafonds avant de revenir sur moi de manière tranchante. Elle se relève soudainement et dépose des billets sur la table.
— J'ai d'autres choses à faire que d'écouter un gamin. On se voit demain, salut.
  Un froid qui sort de je ne sais où me congèle aussitôt. Finalement, j'ai survécu. J'ai dit la vérité en plus. Je dois être fière de ça, même si ça n'avait pas l'air de lui plaire. Je n'ai pas de raison valable pour avoir taquiner cette fille. Juste, j'ai été emporté par mon taré de pote. Je me suis simplement pris au jeu, je n'y suis pour rien. Ce n'est pas la mort. Rien qu'une taquinerie, c'est marrant ce genre de chose…

  Je m'amuse à souffler dans l'air, submergé par l'ombre de la nuit et éclairé par les lampadaires qui suivent mon chemin. Mon nez me picote un peu. Ça doit être les effets de l'alcool. Je ne sais pas pourquoi j'ai cette sensation quand je bois.
  La rue se fait plus vive en terme de couleur grâce aux magasins du centre-ville. J'aimerai me poser, mais j'ai tout dépensé. Pour le bar et la boulangerie. J'ai fait l'effort d'être un gentleman pour une fois, j'ai payé l'addition, et bordel… ça fait mal au cul. Au portefeuille plutôt.
  J'approche bientôt de chez moi. Pourquoi a-t-il fallu que je marche autant et aussi loin de l'appartement ?
  Les mains dans les poches, je cherche mes clés d'avance malgré qu'il ne me reste que cinq minutes de marche. Sauf qu'en cette seconde, je croise une ombre qui me rappelle vaguement quelqu'un. Ça m'interpelle. Un drôle de sentiment m'encourage à tourner la tête. Mais, qu'est-ce que tu viens faire ici ?

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