Chapitre LXII

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Axel Grenat

  La douce voix de Matthias me réveille de plein fouet et lorsque j'ouvre les yeux, je les referme aussitôt à cause de la forte lumière qui me brûle les rétines. Mes mains frottent mes yeux et dans un souffle de rage, je lui lâche :
— Pourquoi tu m'as réveillé ? Pour une fois que j'arrive à fermer l'œil…
— T'as loupé la première heure, j'étais bien obligé.
— Et alors ? Le prof s'en cogne.
  Alors que je croise les bras, les siens me secouent dans tous les sens alors je dégage son emprise du revers de la main avant de me relever.
— Tu fais chier.
  Il se marre tandis que je baille.
  Plusieurs jours sont passés, même plusieurs mois. J'ai passé mon dernier partiel et j'ai réussi à passer en deuxième année. Néanmoins, ça ne m'a pas autant ravi que je le pensais.
—  Tu devrais couper tes cheveux, ils sont trop longs.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Ils ont la bonne longueur, jusqu'au cou.
  Puis, en vérité, ce n'est pas si mal avec une demie queue de cheval.
  Je ne l'ai pas oublié malgré le manque de réponse. Il arrive que nos regards se croisent mais elle me fuit aussitôt pour foncer dans le couloir.
— T'arrives toujours pas à l'oublier ?
  Malgré ma tête baissée, il comprend et acquiesce. Oui, je ne l'ai toujours pas oublié. Je n'ai toujours pas tourné la page. Jamais je n'aurais cru que ça serait compliqué. Avec Inès ou mes autres ex, c'était plus simple. Au bout de quelques minutes, je finissais par passer à autre chose. C'est sûrement ce baiser qui rend les choses compliquées. Les jours qui ont suivi son départ de l'appartement étaient assez compliqués. Le matin, je m'ennuyais de ne pas la voir s'empresser dans tous les sens pour se préparer. Désormais, il n'y a qu'un seul paquet rouge dans le placard, une chaise inoccupée à ma gauche tout comme la chambre qu'elle occupait. Le seul réconfort que j'ai trouvé c'est dans les jeux vidéos. J'y ai passé de nombreuses heures, j'ai même chopé une tendinite cet été à cause de ça. Il demeure tout de même une trace d'elle dans cet appartement, ce chat noir. Cette boule de poil qu'elle a caressée et ce jour où elle a pleuré dans mes bras en pensant à son défunt chat. Nous sommes plus que tous les deux maintenant.
— Plus fort Axel !
  Les cris de mon coach résonnent dans ma cage thoracique. Le poing de mon adversaire s'abat contre ma joue. Mon corps tombe sur le ring et s'allonge sous la forme d'une toile. Le coup de sifflet retentit et une silhouette me cache la lumière. Elle me tend la main avec un sourire.
— Ça va ?
  J'acquiesce pour seule réponse avant de me lever grâce à son aide.
— Merci, Emma. Qu'est-que tu fais là ?
— Il y a une raison pour venir te voir ?
  Je ferme les yeux en soupirant pour laisser apparaître un fin sourire.
— Nan, c'est vrai. Attends-moi, je vais me changer.
  Je sors du ring pour me foncer dans les vestiaires. Lorsque j'ouvre mon casier, je tombe sur mon reflet. Sacré coup. Il ne s'est pas lésiné. Je clos mes paupières avant d'enlever mon débardeur quand soudain la porte s'ouvre.
— Ça fait un bail que je t'ai pas vu.
— Pas étonnant, tu étais aux États-Unis tout l'été, soupiré-je accompagné d'un petit rictus.
  Nos corps se rapprochent puis nos mains se tapent entre elles.
— Comment ça va depuis ?
— Bah, ça va. Et toi ?
  Il acquiesce.
— Tu t'es laissé pousser les cheveux. Il y a une raison ?
— Toi aussi tu vas me dire que c'est moche ?
— Non, non, s'écrit-il. Ça te va bien. Ça te change.
— Enfin, bredouillé-je. Merci.
  Je salue le coach de la main et Emma débarque à mes côtés tandis qu’Enzo me suit de près. Une fois dehors, j'allume une cigarette même si je pense encore à elle. Sans le vouloir je lâche un rictus.
— Tu ris tout seul maintenant ? s’étonne-t-il.
— C'est rien, un vieux souvenir.
  Il hausse les épaules. 
  Juste un vieux souvenir. Celui d'une fille qui s'est empressé de m'arracher la cigarette des mains qui s'est étouffée en inspirant une bouffée. Je monte sur la moto et tend le deuxième casque à Emma tandis qu’Enzo place les mains dans ses poches. Avant, je jette ma cigarette au sol pour ensuite l'écraser contre le bitume.
— À plus, Enzo, dis-je avant de mettre mon casque et de démarrer tandis qu'il me fait signe de la main.
  Ce n'est plus la même sensation qu'avant. L'avoir collé à moi était une chose que je ne pensais jamais avoir à regretter. N'importe quelle autre fille ne pourra jamais changer ça. Du moins, c'est mon ressenti.
  Ma respiration devient saccadée lorsque je freine et que ses bras s'enroulent autour de moi. Ça me presse. D'un geste de la main, j'enlève sa main.
— Désolée, murmure-t-elle.
  La suite est comme un long silence jusqu'à ce qu'on arrive à un immeuble.
— Je te dépose là.
  Elle acquiesce avant de me rendre le casque que je range aussitôt avant de reprendre la route. Je ne suis pas pressé d'arriver au pied de mon immeuble. Ça fait un moment que je ne cesse de tarder, que je roule davantage sur la route au lieu de retourner à l'appartement.
  C'est au bout de vingt minutes supplémentaires que je décide de m'arrêter à cause de l'essence qui se plaint. Alors que je descends de la moto, le casque à mon bras, une personne s'approche de moi. Lorsque je le reconnais, un regard noir lui est destiné.
— Tu veux quoi ?
— On est frère, tu pourrais quand même me dire bonjour.
  Je lève les yeux au ciel.
— Bonjour. T'es content ?
  Il hoche la tête, le sourire aux lèvres.
— Maintenant, dis-moi qu'est-ce que tu viens faire chez moi ?
— Oh rien. Je viens juste t'annoncer que papa va démarcher pour que tu es le prénom de ta mère.
  Il ne dit même pas “notre” ce qui m'irrite au plus au point comme s'il n'y avait que moi qui tenait sincèrement à elle et qui l'aime encore aujourd'hui. Et même si j'aimerais faire un esclandre, je n'en ai pas la force. Je n'ai pas l'envie de me disputer à nouveau.
— Ok, lâché-je froidement en allant vers l'entré de l'immeuble.
— Au fait !
  Je le tourne à nouveau en soupirant.
— Tu ne vis plus avec ta petite amie ?
  Je fronce les sourcils. Pourquoi il me parle d'elle tout à coup alors qu'il ne l'a vu qu'une fois ? Mes poings se serrent, attendant sa réponse de pied ferme.
— Qu'est-ce que ça peut te faire ?
  Ses mains se placent dans ses poches et d'un pas nonchalant, il se tourne vers moi en faisant quelques pas.
— J'imagine qu'elle a dû se sentir mal quand je lui ai parlé.
— Tu viens de dire quoi là ?
  Je m'approche de lui, le sang bouillonnant dans mes veines avec ma respiration saccadée et mon cœur qui donne des coups contre ma cage thoracique.
— Je dis seulement qu'on a parlé de toi. Oh, pas grand-chose ne t'inquiète pas. Quoique… j'ai peut-être légèrement menti sur la situation avec père en disant que tu avais tué une innocente et que père voulait te voir pour te pardonner, glousse-t-il.
  Mon corps fonce sur lui et mes mains saisissent aussitôt son col pour le rapprocher de moi.
— Enfoiré ! Tu sais que c'est faux ! Et arrête de parler d'elle !
— Ra-chel, se moque-t-il.
  Le coup s'envole tout seul pour cogner sa mâchoire. Il tombe raide sur le bitume. Il ne se plaint même pas. À la place, il rigole en se tenant la joue.
— Ne parle plus de Rachel, c'est compris ? insisté-je, les dents serrées avant de rebrousser chemin.
— Eh ! cri-t-il dans mon dos. Comme cette fille n'est pas ta copine, je peux te la prendre ? Elle a une super poitrine et des fe-
  Il n'a pas le temps de parler que je le prend à nouveau par le col. Il arrête de parler aussitôt. Mes ongles entrent dans la paume de mes mains, mon rythme s'accélère de plus en plus à force de voir ce connard sous mes yeux, à glousser et se moquer de ces deux femmes. Mon sang brûle, ce liquide rage en moi comme un hurlement déchirant  mes tripes.
— Va te faire foutre, lâché-je la mâchoire en desserrant mon emprise de sa chemise.
  Cet imbécile n'a jamais eu aucun respect pour les femmes. J'admets ne pas avoir été doué avec elle. Seulement, contrairement à lui, j'ai changé et je sais me remettre en question. Pour lui, les femmes ne sont que des jeux. Avoir leur corps, les draguer, ça l'amuse. Et je n'ai jamais été une ordure à ce point là.

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