Chapitre VI

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Ilona Lazykwartz

  C'est la première fois que je me réveille dans un lit inconnu, dans un appartement au lieu d'un hôtel. J'ai eu du mal à fermer l'oeil. Je me suis d'ailleurs réveillé en sursaut de nombreuses fois comme si j'étais encore au lycée avec un réveil assourdissant toutes les dix minutes qui s'activent à partir de 5h30. J'ai le sommeil lourd alors pour ouvrir mes yeux, je dois mettre des tonnes de réveil horrible pour parvenir à me lever. C'était mon quotidien. Ça l'est moins mais les traces de ces mécanismes restent encore ancrées en moi.
  Aujourd'hui, c'est rendez-vous à l'agence. J'angoisse un peu. J'ai peur de devoir à nouveau être obligé de dormir à l'hôtel. Mes mains tremblent déjà un petit peu.
— Bien dormi ?
  Je sursaute.
  Je ne suis plus habitué à voir des gens dès le matin, surtout pour me demander ça. À l'hôtel, soit je mangeais seul ou soit dans la grande salle avec les autres clients. Seulement, ils ne m'adressaient pas la parole et heureusement pour moi.
  La seule réponse que j'ose lui donner c'est avec la tête.
  Je ne sais pas où me mettre. Pour être honnête, je pense à plusieurs choses. Tout d'abord, mon ventre qui gargouille. Il n'arrête pas depuis la seconde où je me suis levé. Ensuite, est-ce que je mange ? Je ne sais pas ce qu'il y a dans son frigo puis c'est déplacé de fouiller chez les gens. Surtout que je ne suis pas là bienvenue. Et pour finir, où est-ce que je m'installe ? Je fais plante verte à ne pas bouger ainsi. Il me regarde bizarrement. Remarque, j'aurais été pareil si je voyais quelqu'un comme moi qui ne bougeait pas d'un centimètre.
  Sa bouche s'ouvre soudainement mais la sonnette le coupe dans son élan et sans plus tarder, il lâche un soupire avant de se diriger vers l'entrée.
  Je ne suis pas à l'aise lorsque je la vois entrer. J'ai encore ce goût amer qui reste bloqué dans ma gorge quand je pense à cette tromperie mais en même temps, je dois avouer que l'hôtel n'est pas mieux non plus. Vivre ici n'aurait qu'un seul inconvénient : Lui. Il m'insupporte. Je le connais à peine mais j'ai assez vu de lui pour savoir que je ne souhaite pas le fréquenter. C'est une mauvaise fréquentation et encore un gamin dans sa tête. Je n'ai pas besoin de ça.

  Lorsqu'on se dirige vers l'agence, je n'ose pas m'immiscer. Je me mets en retrait. J'ai l'impression de redevenir cet enfant qui s'isole inconsciemment. Soudain, les pas de Sarah ralentissent pour se placer à mes côtés. Je fuis son regard. Je suis encore en colère. Elle aurait pu se montrer honnête. À la place, elle m'a menti. Je ne la connais pas, on n'est pas proche mais ça m'affecte. Je me sens humilié.
— Je suis désolée, parvient-elle à prononcer. La vérité c'est que je ne reconnais plus mon frère depuis… Enfin, il n'est plus le même. Et donc, je me disais qu'un peu de compagnie ne lui ferait pas de mal. Ses amis, je ne les apprécie pas alors…
— J'ai compris, mais tu aurais dû me le dire, j'aurai compris.
— On est pas proche et je ne te connais pas alors je ne savais pas comment tu pouvais penser… je me sentais obligé de mentir. Je suis désolée, surtout que tu sois obligée de partir ailleurs.
— Ce n'est rien… j'espère qu'ils auront un autre logement pour moi…
  Elle pivote sa tête vers moi pour me regarder dans les yeux avec un sourire.
— J’en suis certaine, m’assure-t-elle.

  Alors qu'on arrive à l'agence, j'ai le cœur qui s'accélère et ma peau qui frissonne. L'ambiance est pesante.
— Bonjour, s'exclame Sarah. C'est pour Ilona Lazykwartz.
— Et donc ? Que souhaitez-vous mademoiselle ?
  En même temps, je lui passe mes documents.
— Savoir si vous n'auriez pas un logement à bas prix, bégayé-je. Il se trouve qu'il y a eu un quiproquo avec le locataire pour la colocation et je souhaiterais donc faire un échange.
— Cela va être compliqué. À ce que je vois, vos revenus sont maigres et malheureusement tous les logements à bas prix ont déjà été réclamés et vendus.
  J'ai la sensation que mon cœur vient à l'instant de tomber sur le carrelage pour se briser en des centaines de morceaux répandus à mes pieds.
— Et pour la colocation étudiante ?
— Malheureusement pour vous, il n'y a personne.
  Je pars en vitesse de l'agence après lui avoir souhaité bonne journée malgré ma gorge qui m'étrangle de plus en plus. Seulement, à peine sortie dehors que je me prends quelqu'un.
— Alors ? Demande Axel.
  Mes larmes menacent de couler, croiser son regard rend ça encore plus pénible. Alors sans un mot, je m'en vais à toute vitesse.
  Je repense à mes nuits à l'hôtel. Ce n'était pas si mal mais à force, c'est usant. J'étais isolé et ça va continuer. Je n'aurai pas de vie stable tant que je n'aurai pas terminé mes études. Seulement, ça m'épuise mentalement.
  Lorsque je suis devant l'hôtel, c'est avec la boule au ventre et les larmes aux yeux. Seulement, je ne dois pas l'afficher. Surtout à cette dame si gentille qui m'a si bien accueilli. Je ne peux pas lui montrer mes larmes.
— Bonjour.
— Oh bonjour ! Vous revoilà de retour ? Ça s'est mal passé ? Demande-t-elle inquiète.
— Pas tellement non.
  Elle me donne un sourire compatissant qui me décroche un faux sourire, celui d'une personne épuisée et triste.
— Tenez, et reposez-vous, dit-elle en me donnant la clé.
  J'acquiesce, car c'est tout ce dont je suis capable de dire car aucun mot ne peut sortir de ma bouche. Je deviens muette lorsque les larmes sont bien trop forte que mon mental.

~✧~

  Quand je me lève ce matin, c'est le vide que je ressens. Le vide d'une routine lassante que je dois de nouveau supporter. Je n'ai pas le morale, j'ai envie de tout quitter mais je sens que ce sera une erreur alors j'endure.
  Je me vois à nouveau dans la vitrine, toujours les mêmes fringues mais mon visage encore plus sombre que d'habitude. Je croise le regard d’Axel, aucune émotion ne semble s'afficher sur son visage. Je n'y prête pas attention. Je préfère me diriger vers l'amphithéâtre.
  Je mange seul, même pendant les pauses. La seule chose que je fais, c'est flâner sur mon téléphone et balayer du regard l'horizon. C'est un signe de l'ennui, une chose que je fais souvent. Je devrais faire autre chose. Quelque chose de plus utile. Comme un déclic, j'ouvre Google Doc et décide d'écrire la première phrase de mon récit. Ça m'occupera pendant ces années de solitude supplémentaire.
  Alors que je m'apprête à traverser la rue, une main saisit mon poignet d'un seul coup puis je me retrouve projeté en arrière. Lorsque j'ouvre les yeux, je remarque une voiture continuer sa route.
  Je sursaute quand j'entends une voix venant de derrière moi, presque près de mon oreille.
— Tu veux mourir ?
  Je me retourne et dès que je le vois, je me dégage de son emprise.
— Calme-toi, je vais rien te faire, dit-il en levant les yeux au ciel.
— Tu me veux quoi ?
— T'as failli te faire écraser, les gens civilisés disent merci en général.
  Je pouffe soudainement.
  C'est sorti tout seul alors mes mains se sont immédiatement posées sur ma bouche.
— Merde, chuhoté-je maladroitement.
  Je l'entends soupirer mais je pourrais très bien pleurer qu'il y a eu un sourire derrière sa main. Sûrement parce qu’il se moque de moi, comme au premier jour.
— Bon, il est où ton hôtel déjà ?
— Ah non, tu viens pas là où je dors !
— Je viens seulement prendre tes affaires, je t'embarque chez moi.
  Il s'approche de moi d'un seul coup alors que j'essaie encore d'assimiler ce qu'il vient de me dire. J'arrête de respirer lorsque son souffle s'abat sur mon visage. Je ne sais même plus où regarder. Son visage est si proche du mien. Je peux y voir ses yeux mais le regarder en face me perturbe.
— Maintenant, tu seras ma coloc, avoue-t-il avec un sourire en coin.

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