Chapitre XIV

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Axel Grenat

  Mon corps a bougé de lui-même lorsque j'ai aperçu sa silhouette sur le trottoir d'en face. La pluie bat son plein et glace déjà ma peau à l'instant où je me sépare de ma veste pour la mettre sur ses épaules. Ses yeux me demandent ce que je fous ici. Je ne sais même pas pourquoi. Je n'arrive pas à me défaire de son regard larmoyant et même si la pluie tombe, je distingue les larmes qui sont les siennes. Ma main se resserre, je pince mes lèvres instinctivement. Ma main amène sa tête à mon torse tandis que mon cœur s'accélère. Ses yeux, c'est comme si j'avais vu les miens.  Elle renifle alors je lâche un soupir, mais ma main se pose sur son crâne.
— Ça va aller, soufflé-je.
  Une chose, ou plutôt des gémissements, attire mon attention vers le bas de la pente à côté de nous. On dirait qu'il bouffe son âme. La tête de ce type me dit quelque chose. Ça me revient et je la regarde car maintenant je comprends mieux la naissance de ses larmes. Je la repousse légèrement tandis qu'elle essuie ses larmes, la tête baissée.
— Allez,on y va.
— Je ne vis plus chez toi, t'as oublié ? Réplique-t-elle.
  La dispute. S'en était une d'ailleurs ? Sûrement.
— Oublie. Vient.
  Je repense à mes potes. Je me demande comment je vais faire pour leur expliquer. On était en extérieur, ils m'ont forcément vu courir à elle. Je fais comment ? Il va falloir que j'y réfléchisse toute la nuit.
  La lumière, brutale, me fait cligner des yeux. Elle fonce direct sur le canapé et s'avachit dessus en position étoile de mer. Ses vêtements sont trempées, heureusement,elle ne porte que du noir. Par contre, ma veste gris clair est devenue foncée. Il va falloir que je la mette à sécher. D'un seul coup, je déglutis lorsque mon regard suit la goutte d'eau qui longe sa nuque.
— Je vais chercher des serviettes.
  Lorsque je reviens, je lui tends une serviette blanche seulement, alors que je comptais partir directement, elle m'arrête.
— Elle est propre au moins ?
  Le dégoût traverse et se lit parfaitement sur son visage. Elle croyait que j'allais lui en refiler une sale. Je ne suis pas autant un porc pour qu'elle ose la tenir du bout de ses doigts.
— Tu me prends pour qui ? Répliqué-je.
  Elle hausse les épaules mais même si elle finit par se sécher avec, je reste vexé. Je fonce dans le frigo pour me mettre quelque chose sous la dent à cause de mon estomac qui hurle à la mort. Cependant, je tombe face à deux bières solitaires. C'est le meilleur remède pour se remettre d'une tromperie. J'embarque les deux et une fois dans le salon je lui demande :
— Une bière, ça te dit ?
  Elle acquiesce presque aussitôt alors je souris et m'installe sur l'une des chaises hautes et tandis qu'elle arrive, j'ouvre les bières puis je lui tends la première, fraîchement ouverte. Elle me regarde, les yeux ronds. Je n'ai jamais été aussi doué que cette Athéna pour trouver les mots justes. Et les vides ou les silences trop pesant sont pour moi un véritable enfer à supporter.
— C'était ton mec ? Lancé-je, maladroitement.
  Bien sûr que c'était lui. Mes yeux l'ont vus et ma mémoire l’a mémorisé dès le premier jour où je l'ai vu. Elle acquiesce et enchaîne sur une grande gorgée aussitôt.
— Il… il ne donne pas de paillettes finalement…
  Je n'ai pas besoin de la regarder pour sentir son regard qui me foudroie en un seul coup d'œil.
— Elle était courte ta soirée, conclut-elle.
— Ouais…
  Encore ce satané blanc. Je ne sais pas quoi dire et l'entendre renifler n'arrange pas les choses.
— Je l'aimais…
  Je sursaute au son de sa voix.
— Je pensais que c'était réciproque, continue-t-elle. Je me suis trompée…
— Désolé, bégayé-je parce que je ne sais pas quoi dire d'autre.
— T'es un mec, toi ! S'exclame-t-elle d'un coup en se redressant pour me regarder avec des étoiles dans les yeux.
— Je ne savais pas non plus, ravi de l'apprendre, lancé-je paniqué par son regard.
— Dit, d'après toi. Pourquoi il m'a trompé ? Qu'est-ce que j'ai mal fait ? J'aurais dû faire quoi ? Je suis bien pourtant, je ne comprends pas !
  Elle s'agite, je ne sais plus où me mettre. Et ses yeux remplis de larmes me font franchir. Je rêve de regarder ailleurs mais mon regard reste ancré dans les siens malgré moi. J'ai envie de fuir dans ma chambre. D'un seul coup, elle bondit hors de sa chaise pour saisir mes mains et me supplier :
— Éclaire-moi, je t'en prie…
  Elle me désespère et en même temps ma poitrine me fait mal, une vague de frisson envahit mon corps.  Je peux lui dire quoi ? Je ne sais même pas pourquoi Inès m'a largué, alors savoir pourquoi ce Kévin la largué c'est comme demander la direction à un étranger dans une autre langue que la sienne. Cependant, avant même que je ne puisse répondre, son visage s'assombrit et se rive sur le sol.
— Désolé de te poser la question. Comment tu peux le savoir ? On ne se connait même pas…
  Je ne sais plus où regarder maintenant. Ma main gratte ma nuque et mes pieds tapent le rebord de la chaise tandis qu'une sensation étrange se balade dans mon ventre sans mon consentement.
— Je vais me coucher, annonce-t-elle en se dirigeant dans sa chambre. Merci, pour ce soir.
  Ce soir ? Je n'ai pas fait grand chose pourtant.
  je ressasse ses paroles en boucle dans mon esprit, comme une mélodie qu’on ne peut oublier. Elle avait l’air si désespérée. Son mec était un connard. Un sacré connard.

~✧~

  Lorsque j'ouvre les yeux, l'obscurité domine la pièce. Une obscurité mélangée à une faible lueur de sang domine l'appartement. Je fais ma routine, je pars manger. Seulement, j'ai la sensation qu'on me grignote de l'intérieur, qu'on dévore ma chair petit à petit et que mon rythme cardiaque s'accélère comme pour me dire que c'est la fin. Soudain, un grognement rompt le silence. Mon corps frissonne, je ne comprends pas ce qu'il se passe jusqu'à ce que je me retourne. Je manque de tomber lorsque je suis désormais face à ma colocataire, immense, les cheveux en pagaille qui parcourent le sol tandis que ses griffes menacent de trancher la gorge. D'un seul coup, elle saute vers moi dans un cri bestiale.

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