Chapitre XLV

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Ilona Lazykwart

  C'est marrant car ce matin, lorsque j'ai débuté les cours et que je suis sortie dehors, je suffoquais. J'avais chaud, terriblement chaude. Seulement, ce n'est plus là chaleur qui agresse mon corps désormais mais la douce brise du vent qui caresse mon épiderme. Mes paupières s'ouvrent, c'est alors que je reprends conscience de ce qui m'entoure. Je n'ai pas souvenir de m'être posé près d'un arbre ni de m'être assoupi. Le dernier souvenir que j'ai c'est lorsque je quittais l'amphithéâtre pour ensuite sortir dehors puis, plus rien. Un vent forcé me fait frissonner alors je regarde à ma droite pour tomber sur Axel qui fait du vent avec un cahier. Ça me frustre de ne pas me souvenir de ce qu'il s'est passé, du pourquoi ni du comment je suis arrivé là et surtout pourquoi il est là à me faire du vent. Je me sens soudainement nue quand j'y pense. Mes bras se croisent et c'est lorsque mes mains sont au contact mes coudes que la réalité me frappe de plein fouet pour m'asseoir soudainement, laissant mon dos quitter l'herbe fraîche.
— T'es réveillé ? Tu m'as fait peur, bredouille-t-il en soupirant.
— T'as enlevé mon pull ?
  Il sursaute d'un seul coup lorsque ma voix parvient à ses oreilles. La panique prend sur moi lorsque mes yeux scrutent chaque côté.
— Il est là, sur mon sac, derrière toi.
  Aussitôt je remet mon pull quand d'un coup Axel me toise du regard.
— T'as fait un malaise, enlève ce pull ou tu vas suffoquer.
— Je préfère largement m'étouffer dans ce pull, rétorqué-je.
  Nos deux regards se croisent lorsque je tente d'enlever sa main de mon pull.
— Je n'ai pas envie que tu retombes devant moi, en plein milieu de la route, lâche-t-il froidement.
— Et moi je n'ai pas envie qu'on me voit en débardeur.
— Je vois pas le problème, j'en met souvent des débardeurs et c'est pas choquant.
  Je pince mes lèvres à cause de son insistance. C'est une vraie tête de mule.
— Lâche. Mon. Pull, lui ordonné-je en tirant fort sur l'ourlet.
  Alors que je pensais avoir réussi, je me rends soudainement compte de ma force brute car aussitôt mon corps bascule en arrière, entraînant le sien avec moi. Mon cœur bat à tout rompre tandis que j'arrête d'inspirer brusquement. Son souffle s'abat sur la peau de mon cou tandis que son parfum s'incruste dans mes narines. Mes yeux ne savent plus quoi regarder, trop gêné par cette situation à l'eau de rose, alors ils scrutent le ciel bleu décoré par quelques nuages blancs.
— Dit, murmuré-je. Tu peux te relever.
  Il commence à se relever mais s'arrête aussitôt juste au-dessus de ma tête pour croiser mon regard.
— Pourquoi ça te dérange autant d'être en débardeur ?
  Ça y est, mes yeux commencent à me brûler.
— Est-ce à cause de cette rumeur en début d'année ?
— Je pensais que c'était dû passé cette rumeur, lâché-je avec un rictus.
— Pas pour moi. Depuis le début, je suis au courant de cette rumeur. Toi aussi. On est ami, non ? Pourquoi on en a jamais parlé ? Pourquoi je ne t'ai jamais vu réagir à part quand t'es allée voir ces filles ?
  Mon corps ne fonctionne plus, il refuse de bouger. Alors il m'a vu ? Il m'a suivi quand je suis allée parler à Lizzy et Line ? Je devrais me sentir vexé, en colère, déçu mais je n'en fais rien.
— Pourquoi ça te dérange autant ? insiste-t-il.
  Je pince mes lèvres tandis que mes yeux brûlent. Il n'est pas chose aisée de parler de son passé. Surtout quand on tente désespérément de l'oublier, c'est même pour ça que j'avais décidé d'arrêter ma passion. Car le seul sujet que j'aurai abordé aurait été sur ça, mon passé. Alors le mieux, c'est de l'ignorer. Et c'est ce que j'ai décidé de faire.
— Je n'ai pas envie d'en parler…murmuré-je.
  Du même tons, il me répond :
— D'accord…
  Il se redresse, s'écarte de mon corps mais malgré ça, mon souffle est toujours bloqué. Il ne me regarde plus, son expression à changer. Elle est différente de d'habitude car désormais, il y a comme un froid. Un trou béant se crée dans ma poitrine et des questions me viennent à l'esprit comme : Et si j'avais parlé de moi ? Serait-il aussi distant ?
— J'y vais, je veux pas louper le prochain cours.
  Il s'en va sans rien rajouter tandis que je reste figé là comme bloquée dans le temps. On est amis. Mais c'est trop tôt pour en parler car tant que je n'aurai pas fait un trait sur ça, jamais je ne pourrai en parler à autrui. Ce serait trop pénible de voir de la pitié dans leur regard, celui qui nous fait sentir misérable au point de couper les ponts avec la personne. Et je crois que je ne tiens pas à ce que l'ambiance dans cet appartement se décolore à cause de ça. Je tiens à conserver cette atmosphère amusante dans laquelle je me sens bien.
  Ce n'est pas dans mes habitudes, mais cette fois-ci, je préfère marcher lentement, prendre mon temps avant de rentrer car au fond de moi je n'ai pas envie d'affronter cette distance qui s'est installée à cause de moi. Je suis mitigée. À la fois je m'en veux et à la fois je me comprends dans le fait que je n'ai pas voulu en parler. Seulement, est-ce que ça redeviendra comme avant ? Allons-nous rire comme avant ? Je n'en suis plus si sûr. Il semblait déçu quand il est parti, même frustré mais pas une frustration colérique. Au contraire, c'était plutôt doux.
  Des néons apparaissent subitement, se reflétant sur le sol. Je reconnais cette boîte. C'est là où Kevin a osé me tromper. Cette abrutis qui a la tête d'une chèvre, la plus stupide d'entre elles. Alors que j'avance, la silhouette face à moi ne m’est pas inconnu. Adossée contre un mur, à regarder l'horizon, j'hésite avant de me joindre à elle. Dans un silence absolu, je regarde dans la même direction qu'elle. Je reconnais ce type là-bas. Ce n'est pas un ami d’Axel ? Je ne me souviens plus de son nom. Je lui ai vaguement parlé après tout. Je tourne alors la tête vers elle pour apercevoir une larme qui dévale lentement sur sa joue. Je crois que je l'ai saisie sans qu'elle n'ait besoin de le dire. Ce regard est celui d'une fille éperdument amoureuse qui se retrouve brisée. Voilà pourquoi je n'aime pas un amour silencieux, il est souvent voué à être solitaire.
— Ça me tue qu'il ne me voit que comme une amie, pouffe-t-elle.
  Tout en demeurant silencieuse, avec malgré tout une oreille attentive, je scrute la cible de son cœur. Ce dernier, riant avec une belle blonde à la peau blanche.
— Il ne m'aimera jamais, n'est-ce pas ?
  Mon regard croise les siens, sa douleur est désormais mienne car aussitôt que je vois ses larmes et ses yeux rouges mon cœur se serre.
— Peut-être bien, murmuré-je. Je n'en sais rien, je ne le connais pas aussi bien que toi.
Elle acquiesce avant d'allumer une cigarette pour inspirer son venin avant d'en faire de la fumée.
— Il ne m'aimera jamais. C'est sûr. Pour lui, l'amour n'est qu'un jeu.
  Je n'ai jamais été proche d'elle, j'ai toujours cru qu'elle était hypocrite envers moi. Ses expressions et son comportement m'ont toujours fait douter de sa sincérité. Seulement là, je ne peux nier que sa douleur est authentique et qu'elle a toujours été présente depuis notre rencontre. Elle est juste elle-même. Toujours à taquiner, curieuse mais surtout amoureuse de son meilleur ami.

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