Chapitre XXIX

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Axel Grenat

  J’ai longtemps hésité à l’emmener mais il a fallu que je la vois sur le canapé, tremblante de peur. Comme tétanisé. Alors le doute est parti, mes paroles ont fuit comme une évidence. Le ronronnement de la moto cogne mes oreilles. C’est comme sentir les multiples coups de mes adversaires. Un bruit sourd qui fait trembler le creux de mon ventre.
— On arrive bientôt ? hurle-t-elle pour forcer le passage entre sa voix et le vent. Tu m’emmènes où ?
— Patience. On arrive bientôt !
  Ses mains se resserrent autour de moi quant, aussitôt, je rentre mon ventre. Mon souffle se libère lorsque la route que je connais comme ma poche est sous mes yeux. Ce décor où les maisons se ressemblent mais où chacune a une faille bien à elle. Par exemple la maison huit, il lui manque quelques plaques d’ardoise sur sa toiture. Sa voisine, quant à elle, est vêtue d’une mousse à la fois luxuriante et hideuse. On finit par arriver à la rue commerciale où je finis par me garer dans une petite ruelle. Ses doigts resserrent leur emprise sur ma veste en cuir.
— T’inquiète pas, commencé-je en enlevant mon casque puis en passant ma main dans mes cheveux pour les remettre en place. Je t'emmène pas dans un endroit louche, tu verras.
  Alors que je m’approche de la porte, c’est comme si mon corps sentait qu’elle ne me suivait pas. Je ne ressens pas sa présence, elle est absente. Je me retourne et mes lèvres ne retiennent pas mon soupir.
— Tu n’es pas obligé de me faire confiance, lancé-je. Mais, je n’ai aucune raison de te faire du mal.
  Je ne sais pas comment la rassurer. Ma main se tend vers elle mais repart au bout de quelques secondes. C’est comme s’il y avait un mur entre elle et moi.
— Je te suis, finit-t-elle par déclarer.
— Génial, laché-je soulagé.
    J’ouvre la porte en acier en appuyant sur la barre métallique.
— Les dames d’abord…
  Elle s’approche donc et traverse la porte. Je me demande ce qu'elle pense lorsque je vois ses yeux s’écarquiller devant moi. Elle scrute de fond en comble la salle tout en plaçant sa main droite à ses lèvres.
— Je comprends mieux, murmure-t-elle avant de s’exclamer. Le papier que j’ai vu sur la boxe… C’est parce que tu en fais !
Je n’arrive pas à comprendre ce qu’elle me dit quand soudain je revois ma main poser en vrac cette annonce sur la table.
— C’est…
  Je n’ai pas le temps de commencer que je la vois s’aventurer dans la salle. Alors que je compte m’élancer pour la rattraper, le coach vient à moi et comme à notre habitude, on se fait une petite tape à la main avant de se serrer furtivement dans les bras comme signe de salutation.
— Alors ? C’est elle ?
  J’acquiesce.
— Ouais c’est elle. J’espère que ça ne te dérange pas ? Je paierai à sa place, t’inquiète.
— Pas la peine, rit-t-il. C’est toi qui l'entraîne, pas moi, alors t’as pas à payer. Offre-moi seulement une belle victoire.
—  Merci, sourié-je.
  Mon sourire s’efface tandis que mes poings s’enfoncent dans la paume de ma main. Un mélange d’incompréhension et de je ne sais quoi qui me fait soupirer. Mon regard n’arrive pas à se détacher d’elle, surtout de lui qui affiche un sourire niais. Ça me dégoûte.
— Ils ont l’air de bien s’entendre.
  Il m’ôte les mots de la bouche. Soudain, c’est moi qui devient niais lorsqu’elle se tourne face à moi avec un sourire béa.
— Enzo, heureux de te voir, lancé-je malgré moi.
— Content de te revoir aussi.
— Oh…vous vous connaissez ? demande-t-elle.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n'étais pas parti en Italie pour tes études ?
  Il a le même air innocent que la dernière fois qu’on s’est vu. Un fin sourire, des plis sous ses yeux pour montrer son air jovial et sa touffe blonde coiffée à la perfection. Le son des mouvements, les coups, les cris d’euphorie, cette chaleur étouffante qui fait ressortir notre sueur sur l’épiderme et enfin, les palpitations de mon cœur en ébullition. Ce sont les derniers souvenir que j’ai de lui et j’aurai préféré m’en passer.
— Hé ! me réveille ma colocataire. C’est nul… tu l’as fait partir…
  J’étais focus sur le passé, je me suis égaré. Le voilà maintenant parti pour saluer les autres. Soudain, une question surgit dans ma tête. Je me tourne face à Ilona qui me regarde comme si elle était face à un fou.
— Oh fait, tu le connais d’où ?
— Il m’a accompagné une fois pour rentrer.
  Je m'apprête à dire un truc con mais l’image de son corps terrifié qui s'étouffait à l'hôpital et sur le canapé me rend muet. J’inspire profondément avant de lâcher prise pour taper des mains.
— Bon, je te fais une visite ?
— Ce serait mieux que de me perdre toute seule, lance-t-elle.
    Je lâche un faible rictus avant de l’accompagner pour visiter la salle de fond en comble.
— Déja, il y a la salle principale. Tu trouves plusieurs ring mais celui du centre, c’est le principale et il est dédié aux grandes occasions. Dans le fond de la salle à droite, tu as les machines avec des punching-ball à
gauche pour apprendre à maîtriser les techniques en solo.
  On pénètre ensuite dans une autre salle, plus petite.
— Et là, les vestiaires. Par contre, c’est mixte désolé. Il y a peu de femme ici, voir pas du tout donc le coach ne voyait pas l’utilité d’investir.
  Elle acquiesce, sans un mot avant de s’asseoir sur l’un des bancs. Je la rejoins sur la même démarche qu’elle en croisant mes mains entre elles.
— Je ne pensais pas que tu faisais de la boxe, déclare-t-elle. Je ne m’en suis jamais douté, je croyais que tu passais tout ton temps avec tes potes.
— Il y a plein de choses que tu ne sais pas sur moi.
— C’est vrai… sourit-t-elle. Puis, c’est normal. Toi et moi, nous ne sommes pas amis. Seulement…
—  Coloc, continué-je.
  On se regarde tous les deux avant de se mettre à rire doucement. J’ai soudain envie de dire un truc un peu fou, quelque chose que je n’aurai jamais pensé dire.
—  Je ne pensais pas te le dire mais, t’es plutôt cool comme fille.
— Et toi tu n’es pas si mal comme colocataire.
  Nos regards se croisent quand soudain, elle rit.
— Hé, ça veut dire quoi ça ? Pas si mal ? Je suis incroyable comme type, tu ne trouveras pas mieux !

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