Chapitre LIV

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Ilona Lazykwart

  Malgré mes supplications intérieures, mon cœur ne s'arrête pas. Il continue de battre, encore et encore et toujours plus fort. Au point où j'en suis, j'ai la sensation que ces vibrations ne cesseront jamais. J'ai pourtant appris des choses sur lui qui sont assez sombres, ça devrait me dégoûter ou me faire peur. Seulement, c'est tout l'inverse qui se produit. J'ai vu ses yeux d'un bleu aussi vaste que l'océan, sombre avec des pigments de lumière. Ce sont ces pigments qui ont fait chanceler mon coeur. Le pire c'est que mon regard a osé dérivé plus bas. Le rouges aux joues, le plafond est si blanc que ma première pensée était de me dire que cette pureté vide allait me calmer. Encore une fois, je me trompe.
  Aucun de nous parle, ce vide devient lourd. Je me tourne à son opposé pour ne pas le regarder du coin de l'œil. Il y a comme une gêne suite à cette drôle de tension inattendue. Plus j'y pense, plus la sensation de ses mains sur mon dos et mes cuisses s'incrustent sur ma peau de manière invisible. Mes paupières ont beau se fermer, je ne parviens pas non plus à trouver le sommeil. Agacé, je me tourne instinctivement comme je ferai dans mon propre lit lorsque je ne suis pas à l'aise sur un côté. Cependant, mon cœur flanche à nouveau lorsque nos regards se croisent. Lui aussi s'était retourné alors, évidemment, nos deux visages sont si proches que nos deux souffles se mélangent. C'est une nouvelle contemplation, sauf qu'il n'est pas au-dessus de moi cette fois-ci. Nos deux corps allongés sur le côté et nos visages qui n'ont que quelques centimètres de distance. J'avale difficilement ma salive, mon corps reste statique comme si j'allais mourir si je bougeais d'un millimètre. Ma raison le sait, je le sais également que je ne dois pas être plus proche de lui qu'on ne l'est déjà. Ça pourrait amener une autre illusion de ma part. Je m'écarte lentement pour être aussitôt collé au mur. Il a un lit une place, ce n'est pas simple de réduire la distance. Mon cœur bondit hors de ma poitrine lorsque je vois son visage s'avancer. Ses yeux semblent fixer un point bien précis. Je peux presque sentir ses lèvres sur les miennes quand soudain, il s'éloigne brusquement pour se placer sur le dos, sa respiration saccadée. C'est en l'observant du coin de l'œil que j'aimerais savoir ce à quoi il pense.
  Alors que je toujours tourné vers lui, mon regard se pose sur la guitare et aussitôt je pense à ce jour où je me suis faufiler dans sa chambre pour la première fois après le combat qu'il a donné. C'est là que j'ai vu ce carnet. Je n'ai pas eu le temps de tout lire mais les quelques mots que j'ai pu lire étaient magnifiques. Je ne sais rien de lui, hormis ce qu'on m'a dit l'autre jour. Je peine à éclaircir ma voix pour parler mais j'ose lui demander :
— C'était quoi ce carnet sur ton bureau ?
  Ce sont ces premiers mots qui nous enlèvent le silence. Il est surpris par ma question soudaine qui n'a eu aucune bande-annonce pour le préparer à répondre.
— C'est rien.
  Cette réponse ne me satisfait pas. Elle est trop simple, trop vague, trop mystérieuse pour que je la laisse passer. Seulement, je n'aime pas forcer les gens alors je me retrouve entre deux dilemmes. Raison ou curiosité mal venue ? On le sait tous, la curiosité est un vilain défaut que l'on ne doit pas abuser. Alors j'acquiesce malgré mon envie insatiable d'en savoir plus. Le calme revient de nouveau mais il gesticule plus qu'avant ma question. Il a de nouveau cette habitude de passer la main dans ses cheveux avant de soupirer.
— En fait… il m'arrive d’écrire…
— Écrire quoi ? demandé-je avec une once d'hésitation.
  Il se tourne dos à moi.
— C'est tout ce que tu auras comme réponse.
  La suite au prochain épisode je présume. Je fais la moue malgré moi avant de me tourner à mon tour dos à lui.
— Dit, depuis quand tu lis des magazines porno ?
  Il se retourne vers moi, les joues rouges.
— Ça ne va pas de poser ce genre de question ? s’exclame-t-il.
— J'ai bien le droit de savoir, bredouillé-je. Elle a cru que c'était à moi…
  Sa tête s'enfonce dans son oreiller où un petit cri en sort.
— C'est Logan. Il sait que j'ai été largué alors il m'a passé ce truc…
  Je pouffe légèrement.
— Arrête de rire. C'est pas drôle…bredouille-t-il à son tour.
  J'acquiesce en me tournant sur le côté avant de fermer les yeux.
  La lueur du soleil apparaît dès qu'il se relève de sa nuit. Peu à peu, j'ouvre mes yeux. Il me faut quelques secondes pour prendre conscience d'où je suis. Mes paumes frottent mes yeux avant de me hisser pour m'asseoir. Lorsque je scrute les alentours, je sens une drôle de sensation sur mes cuisses. C'est que maintenant que je me rends compte que lorsque je me suis assise, il y avait une chose longue qui glissait sur mon ventre. Je déglutis avant de baisser la tête pour tomber sur un bras. J'avale difficilement ma salive lorsque je scrute en détail, observant ses grains de beauté et sa veine qui ressort un peu. Je suis la longueur du bras pour tomber sur mon colocataire endormi sur le ventre. Le rouge me monte au joue lorsque je vois son dos nu, son t-shirt par terre. Mes yeux se posent à nouveau sur son bras, posé sur mes cuisses. Sa peau contre la mienne. Sa chaleur corporelle contre moi fait grimper mon rythme cardiaque. D'une main légère, je saisis son bras pour le soulever et le poser le long de son corps. Je me place ensuite à quatre pattes sur son lit pour arriver au bout et descendre avec discrétion. D'un pas léger, je m'approche de lui suite aux vibrations de son téléphone qui m'intriguent. Un rictus s'échappe de mes lèvres quand je lis le nom du contact “vieux con”. Je me demande bien qui c'est. Seulement, mes yeux ne peuvent se détacher de son téléphone alors aussitôt ma tête parvient à lire le message malgré moi.

<< Tu as intérêt à venir, la famille sera là>>

  Plusieurs questions se mélangent dans ma tête. Ce vieux con doit être son père. Je ne vois que ça. Je ne pense pas qu'il dirait “vieux” pour son frère Logan. Ses cheveux sont en pagaille, sa frange masque ses yeux clos tandis que ses lèvres sont entrouvertes pour laisser s'échapper de faible soupir. Là non plus, je n'arrive pas à regarder ailleurs. C'est plus fort que moi, je continue de le regarder sans m'en lasser ni penser aux secondes qui défilent à toute vitesse. Cette invitation, il m'en a parlé…

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