Chapitre XLIX

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Ilona Lazykwart

  Il m'a fallu du temps pour me relever. J'ai beau tourner ses paroles en boucle dans ma tête, je ne comprends pas pourquoi il me parle d’Enzo tout à coup. Il n'a rien à voir là-dedans. Ce n'est qu'un ami. Puis, de toute façon, ce n'est rien comparé à son humeur d'hier. Encore aujourd'hui il est grincheux. Je ne vais pas pouvoir supporter une journée de plus. Ma curiosité va finir par avoir raison de moi. Et pourtant, même si ma gorge me démange, aucun mot n'arrive à sortir pour lui exprimer le fond de ma pensée. Quand je le vois manger tranquillement ses délicieuses céréales, ça m'agace. Il n'a pas l'air de penser à notre conversation d'hier, il est totalement indifférent.
  Alors que je pensais être seule cette fois-ci, Lexi se place à nouveau à mes côtés.
— Yo nouvelle copine ! s’exclame-t-elle les deux doigts de sa main droite levée.
  Je lui dis bonjour vite fait d'un rapide signe de la main. Seulement, ses yeux me percent à jour. Je suppose qu'on lit en moi comme dans un livre ouvert.
— Oula, qu'est-ce qu'il y a ? Ça ne va pas se matin.
  Ma tête se place presque immédiatement entre mes bras. Il me prend la tête depuis hier soir, il prend trop de place dans mon esprit et encore aujourd'hui. Ça me rend folle.
— De quoi il se mêle…bredouillé-je agacé. Je traîne avec qui je veux…
— Ça a un rapport avec Axel, ça.
  Elle suppose bien.
— Pourquoi tu voulais être mon amie ? laché-je brusquement comme une bombe prête à exploser.
  Ma question la rend soudainement muette. À vrai dire, je n'ai pas trop réfléchi. Je commence à trouver ça bizarre qu'elle veuille se lier d'amitié avec moi tout d'un coup. Et évidemment, je me demande si ce n'est pas moi qui suis trop méfiante envers les gens. Seulement, j'ai la sensation qu'elle me pose beaucoup de questions sur Axel. Je dois l'avouer, ça me dérange assez. C'est comme être enfermé de chaque côté et que tout à coup deux murs se resserrent. On se sent oppressé, à l'étroit puis vient le moment où on tente désespérément de reprendre notre souffle. C'est ce sentiment que je ressens lorsqu'elle me pose toutes ces questions. Un sentiment d'oppression.
  Lorsque mes yeux s'attardent sur l'expression de son visage, c'est celui d'une personne qui semble hésiter mais qui se résigne. Aussitôt, je pense à Axel qui a eu la même mimique hier soir. Il semblait hésitant à un moment dans sa phrase. Il était proche de se confier mais s'est aussitôt bloqué. On est des amis, des amis ça se partage tous. Seulement, je crois qu'on reste seulement au premier degré d'amitié. Celui du commencement mais qui n'a probablement pas d'avenir. Ça pourrait devenir cette trope, le stranger to lover. Mais en rajoutant une deuxième fois stranger pour souligner la séparation.
  Alors que je comptais parler, elle se lève soudainement. Elle saisit sa veste en cuire puis son sac pour partir se poser à sa place habituelle. Me voilà de nouveau seul. Je crois que j'ai un peu tout gâché. Et le pire c'est que je m'en rend compte que maintenant, lorsqu'il est trop tard. Il y a des mots qui s'échappent tout seul, qui viennent souvent de notre conscience. Seulement, on s'en rend compte que trop tard que ces mots sont irréfléchis et viennent souvent de notre peur inconsciente.
  Lorsque le prof nous autorise à faire une pause, j'hésite à lui parler. Ce n'est pas une hésitation qui exprime l'envie de ne pas vraiment me lier à elle. C'est plutôt une hésitation d'appréhension. C'est légitime qu'elle ait mal pris ce que j'ai dit. Ma peur à dépeint sur elle alors, je comprends si elle ne veut plus me parler. Cependant, ça ne me plaît pas vraiment d'être en froid à cause de ma maladresse et de mon manque de réflexion.
  Alors que je compte l'aborder, une silhouette se place devant moi avec un large sourire que je reconnais bien.
— Salut ! Ça te dit qu'on aille à la cafétéria ?
  Elle est partie, sa trace s'est envolée alors que je la voyais il y a même pas quelques secondes. Je me tourne vers lui acquiesce avec un sourire. Alors qu'on commence à marcher, du coin de l'œil je distingue la silhouette d’Axel qui est avec son ami. Il y a comme un vide désormais à cause de ce fossé. Seulement, je ne me vois pas aller lui parler de si tôt alors qu'il s'est plaint que je traîne avec Enzo. Ça me place dans une bulle embrumée dans laquelle je ne peux m'échapper tellement ça me frustre de ne plus y voir clair.
  Une gorgée de chocolat chaud dévale ma gorge pour réchauffer mon estomac. Ça laisse des petits picotements sur le bout de la langue, ce qui est assez satisfaisant malgré tout. Il grignote un bout de son cookie avant de soupirer. Je le regarde, plutôt curieuse de sa réaction qui me rend perplexe. Je n'y avais pas prêté attention avant mais, plus je le regarde et mieux je vois ses cernes qui marquent son visage.
— J'ai un partiel cet aprem, se plaint-il.
  Je grimace à cette nouvelle. Le mien est dans une semaine, je n'ai encore rien révisé. Il va falloir que je m'y mette dès ce soir. Depuis le début de l'année je n'ai eu que quelques contrôles, pas encore de partiel alors ça m'évoque une certaine angoisse. La peur de l'inconnu peut s'avérer être plus grande que ce que l'on croit à mesure que l'on y pense.
— Ça va aller, l'encouragé-je sans être sûr de moi. Au pire, si tu rates ne t'en veux pas trop. C'est ton premier ?
— Oui…acquiesce-t-il. Je te cache pas que ça m'angoisse.
  Il me sourit mais je remarque bien qu'il est nerveux.
— J'ai révisé comme un chien jusqu'à aujourd'hui mais tu vois, je doute encore.
  Je pince mes lèvres en baissant le regard sur ma tasse.
— Alors, ça devrait aller pour atteindre la moyenne. Il faut seulement que tu arrêtes de stresser. Ou soit stressé mais pas assez pour tout oublier. Si tu as fait tant d'efforts pour ce partiel, ce serait dommage de le foirer pas vrai ?
  Il lâche un petit rictus avant de se relever. En même temps, son sourire illumine à nouveau son visage ce qui lui donne une certaine confiance.
— T'as raison, je vais le faire ce partiel et je vais y arriver.
  Ses doigts appuient sur son téléphone tandis que l'heure s'affiche. Aussitôt, il est surpris et se précipite pour me dire, tout en bondissant hors de sa chaise :
— Oh je dois y aller ! Merci beaucoup ! À plus !
  Alors que je lui fais signe de la main, ses lèvres viennent soudainement se poser sur ma joue. Mon corps s'arrête aussitôt de bouger, comme déstabilisé par ce baiser soudain.
  Mes pensées sont rivés sur ce souvenir. Ça m'est carrément impossible de me le sortir de ma tête. J'ai la sensation de ses lèvres, assez douce je dois dire, qui marquent à présent ma peau d'une trace invisible que seul moi a la capacité de ressentir.
  Tandis que je franchis la porte de l'université qui mène à la sortie avec vue sur la ville, une silhouette familière est adossée à un poteau me fixant du regard avec un petit sourire. Seulement, même si cette personne ne m'est pas étrangère, j'ai comme une boule de pétanque dans l'estomac. De toute façon, je me fais sûrement des idées. Peut-être bien que cette personne regarde derrière moi et qu'elle est le sosie de quelqu'un.
  À mesure que j'avance, je m'approche de ce fameux poteau qui fait bourdonner mon ventre d'angoisse. J'arrive soudainement à son niveau, seulement, quand je pense pouvoir respirer, sa main se pose sur mon épaule et me lâche un sursaut.

GARCE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant