Chapitre LXXI

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Ilona Lazykwart

   Être seule, c'est comme ce noyé dans les abysses. Cependant, ne plus être avec lui, c'est comme tomber dans la lave déchaînée d'un volcan en éruption. C'est une envie insatiable de sorte de ce liquide brûlante, un mélange entre espoir et désespoir. Le contraire de l'eau, c'est que lorsqu'on se noie, le temps est bien plus lent. On se précipite moins, on attend que le temps passe alors que notre corps s'approche peu à peu de l'obscurité de l'océan. Avec une rivière ardente, c'est tout l'inverse. La douleur est si lente, si vive qu'on se débat dans tous les sens en hurlant. En parlant avec Lexi, c'est ainsi que j'ai pu entendre mes cris intérieur. Ceux qui me hurlent de le supplier de me pardonner. Pour être partie, avoir fait déborder mes précédentes blessures sur lui en prétextant que je le haïssait. Alors qu'en réalité, c'est tout l'inverse. Et j'aimerais caresser sa joue, même si je ne le mérite pas, pour effacer la douleur de ma main qui s'est abattue sur lui. Après tout ça, j'ose encore y croire. Je dois vraiment faire pitié, non ? Il ne me pardonnera pas, je lui ai fait trop de peine. Sans le voir, c'est comme si sa souffrance pénétrait mon corps tandis que des perles salées coulent en silence.
  Alors que je sors de l'établissement, Enzo me fait signe. Cependant, il n'est pas aussi joyeux qu'avant. Même épuisé, son sourire demeurait éternel sur son visage. Hors, là, il a disparu.
— Je voulais juste te poser une question avant d'aller à la salle.
  J'acquiesce, prête à entendre ce qu'il a à me demander.
— Est-ce que…c'est délicat mais Axel m'a parlé de cette soirée chez votre pote et apparemment ça à dégénéré.
  Je déglutis en repensant à cette soirée, mon corps frissonne rien que d'y penser.
— Est-ce que…, poursuit-il. Tu as le sentiment qu'il t'a violé ?
  Ce mot résonne en moi comme un écho. Je repense à cette nuit où il était ivre, il n'arrêtait pas de s'excuser. Je pince mes lèvres et serre les poings. À cause de moi, il s'en veut et ne sait pas ce que je pense de tout ça.
— Non… je ne me sens pas comme ça…
  Il acquiesce et avant de partir, il me dit :
— Tu devrais lui en parler.
  Cette fois, je n'acquiesce pas. Évidemment que je dois lui dire. Ça me bouffe de l'intérieur qu'il pense à ça. Ne se souvient-il pas que moi aussi j'ai mené la danse ? Mes souvenirs ont beau être flou, j'ai la conviction qu'ils sont réels. Je ne mérite pas ses baisers, ses touchés, ses caresses, son attention. C'est bien pour ça que je pense que ça n'aurait pas dû être moi. Cette fille allongée sur ce lit, avec lui et ses gestes. Figé dans mes pensées, je regagne l'hôtel.
Je défile mon répertoire. Lexi est allée au commissariat récupérer mon téléphone. Par chance, cette passante l'a ramenée aussitôt. J'envoie un message, en espérant qu'elle me réponde malgré les mois qui sont passés depuis que je suis partie. Soudain, l'interphone de ma chambre interrompt le silence. Alors d'un pas lasse, je décroche pour aussitôt reconnaître sa voix malgré le temps qui est passé. J'appuie sur le bouton et en à peine quelques minutes, la voilà à ma porte.
— Ça fait longtemps.
  Elle acquiesce.
— Je peux entrer ?
  Je m'écarte tandis que la brune à la coupe afro s'avance pour franchir le seuil de la porte. Même si ce n'est pas aussi intense comme curiosité, je me demande pourquoi est-elle ici. Est-ce qu'elle serait venue me demander de m'excuser ? Dans ce cas là, elle gaspille sa salive car je comptais y aller demain. Non aujourd'hui car je préfère me préparer mentalement. Son regard pourrait me faire vaciller et accentuer davantage ma culpabilité. Malgré cette pensée, je ne dois pas me laisser faire et abandonner maintenant. Je dois assumer mes erreurs et les affronter malgré l'appréhension du lendemain. Je lui propose à boire et elle me répond :
— De l'eau, ça ira. Merci.
  J'acquiesce avant d'aller chercher ça. En revenant, je pose sur la table et m'assoie à côté d'elle. L'ambiance est pesante. Je ne sais pas quoi dire et j'ignore toujours pour quelle raison elle est là.
— Je me lance. Ilona, je dois te parler d’Axel…
  Je déglutis. Au fond de moi, je le savais.
— Avant que tu te lances vraiment, je dois t'avouer que je suis désolée…
  Mes mains tremblent mais je continue.
— Je… j'en ai parlé à une amie. Ce n'est pas une excuse évidemment. Je reconnais que j'ai pas été sympa et…
— Ilona, m'arrête-t-elle en posant ses mains sur mes épaules. Il ne te déteste pas.
  Mon cœur se serre. Comment peut-il ne ressentir aucune haine envers moi ? J'étais si froide avec lui malgré son insistance pour me parler et…me protéger.
— Lexi…nous en a parlé… vaguement, bien sûr. C'est pour ça que je suis venue te voir. Je veux te cerner.
— Sarah…je ne mérite pas son attention, bredouillé-je. Il est trop bien pour moi et…à cause de moi, il n'allait pas bien. Il ne doit pas…m'avoir dans sa vie.
  Ces derniers mots étaient tout aussi pénibles à prononcer que les deux mots de la dernière fois. C'est compliqué d'assumer ce qu'on dit, surtout lorsqu'on ne le pense pas.
— Ilona… tu fais fausse route.
— Je n'ai pas le droit d'être égoïste…
  Alors que je regardais mes doigts s'entrelacer, ses mains saisissent mon visage pour me ramener vers elle. Les sourcils froncés, elle me lâche froidement :
— Soit égoïste un peu, bordel. Surtout lorsque vos sentiments sont réciproques.
  Je déglutis, les larmes me montent aux yeux. Mes pensées virevoltent entre ce mot “bordel” qui me rappelle mon ancien colocataire. Puis il y a ce mot, réciproque, qui fait vriller mon cœur en un millier d'éclats. Elle continue donc sur sa lancée en voyant ma mine bouche-bée :
— Tu as blessé mon frère. Il n'a pas compris pourquoi tu es partie ni pourquoi tu l'as rejeté. Tu as été cruelle mais…j'ai parlé à Lexi en privé avant qu'elle n'en parle à Axel et…je sais à quel point ces mecs t'ont blessés. Ce n'est pas de ta faute. Ilona, tes réactions sont excessives mais je les comprends après ce que tu as vécu. Et… tu as dû te sentir tellement seule. Ces gars sont des cons mais Axel n'en est pas un. Contrairement à ce type, lui, il est fou de toi. À un point où, je ne le reconnais même plus. Tu l'as blessé mais…tu souffres aussi de tes actions. Alors je t'en prie, ne gâche pas votre relation à cause de tes peurs et de ta culpabilité. Ce que vous ressentez l'un pour l'autre est réciproque.
  Mes yeux laissent tomber ces larmes tel un un fleuve déchaînée tandis que cette cage se referme sur cet oiseau chanteur. J'ai peur. Oui, j'ai peur. Peur qu'on joue de moi, peur qu'on se moque de moi, peur qu'on soit là seulement pour mon corps, peur qu'on me mente. J'ai peur de souffrir à nouveau. Jamais, je ne me suis rendue compte de cette peur car je l'ai toujours ignoré en tentant de faire un trait sur un cahier. Finalement, ce n'est pas suffisant. Il ne suffit pas d'un unique trait pour rompre avec son obscurité.

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