Chapitre LX

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Axel Grenat

    Ça fait longtemps que je ne suis pas venu ici et ça ne m'a pas manqué. La maison grise donne toujours ce sentiment de vide, d'obscurité malgré son élégance. Et moi, cet appartement de bourge me rend malade. J'y ai passé de nombreuses années avant de parvenir à prendre mon émancipation. Enfin, je suis partie mais ce passé me colle toujours où que je sois. La grande porte en acier noir s'ouvre suite à un bip, qui est toujours aussi irritant. Logan apparaît, parfaitement coiffé avec une chemise bien lisse et un sourire éclatant qui me donne la gerbe.

— Yo frangin ! Père nous attend.

  Il me fait signe et dans un soupir je place mes mains dans les poches en allant vers lui. Lorsque je suis à ses côtés, il rajoute :

— Tu aurais pu faire un effort. Père va encore croire que tu es un bandit avec ta veste de motard. 

  Je lève les yeux en l'air avant de franchir la porte et je découvre que même l'intérieur n'a pas changé. C'est toujours aussi austère, macabre malgré toutes ces décorations de luxe. Le creux de mon estomac bourdonnement à mesure qu'on marche dans le couloir pour s'approcher du grand salon. Sa silhouette est comme une ombre. Debout, droit comme un bâton qui regarde fièrement à travers la fenêtre. À mesure qu'on s'approche, tout devient plus net. Surtout lorsqu'il se tourne vers nous. Il n'a pas changé. Toujours cette allure vide et ferme qui me donne la migraine, ses rides durci son visage et son regard strict. 

— Aucun effort, lâche-t-il sans même une seule salutation. Il t'en a fallu du temps pour te décider à venir. 

— Tu me reprends son argent, tu crois que je vais faire un effort ? 

— Ce que tu peux être rancunier, souffle-t-il.

— Soit déjà content que je sois là, je gaspille de l'essence pour voir ta tronche.

  Aussitôt, Logan soupire à tel point qu'on pourrait l'entendre dans toute la maison. C'est avec nonchalance qu'il s'installe sur le canapé, un bras sur le dossier du canapé en cuir, la jambe croisée.

— Arrêtez de vous disputer, nous sommes tous réunis et c'est le principal.

— Sarah n'est pas là, rétorqué-je en croisant les bras. 

  La tête de Logan tombe en arrière tandis que père fulmine avec claquement de langue sur son palais. Ses mains placées derrière son dos, il reste statique mais je remarque bien son corps bouillonnant de colère.

— Tu sais très bien qu'elle n'a pas le même nom que nous, lâche-t-il froidement. Elle ne mérite pas d'être ici.

  C'est plus fort que moi, je pouffe de rire malgré mon envie de me tirer d'ici.

— C'est ma sœur ! T'as couché avec une autre femme que maman alors assumes que tu as une fille. 

— Ce n'est qu'une erreur de jeunesse, une erreur de parcours.

  Ma main passe dans mes cheveux avec un rictus ironique. 

— Punaise, mais tu t'entends parler !

— Calmez-vous, intervient Logan dans un profond soupir d'épuisement. On ne pourrait pas passer à autre chose ? 

— Ton frère a raison, Axel. Le passé, c'est le passé, alors cesse de ruminer avec tes histoires et vient t’asseoir immédiatement ou nous passerons une sale soirée.

  Père, à l'aide de sa canne en bois, part s'asseoir sur le canapé face à mon frère. Tous les deux me regardent avec insistance. Mon sang bouillonne, ce serait un miracle que je reste jusqu'à la fin de la soirée. Malgré moi, je m'installe avec eux mais toujours à une distance raisonnable. 

— Alors, la vie ? demande Logan avec sa nonchalance habituelle. 

— Les affaires fonctionnent toujours avec perfection, répond mon père sans plus de précisions.

  Tous les deux tournent le regard sur moi désormais alors je réponds :

— Les études, donc pas grand-chose. 

— Rien d'autre ? insiste mon chère père.

  Je lève un regard vers lui lorsqu'une jeune femme habillée en tenue de travail, s'approche de nous avec un plateau qui contient trois verres de cristal et une bouteille de vin. 

— Rien d'autre.

  Logan gonfle ses joues, les sourcils levés et admire la scène comme un spectateur qui va au théâtre. Mon père continue de me regarder avec insistance, ses yeux sont aussi sombres que sa maison. Autrefois j'aurais frissonner d'effroi mais là c'est tout l'inverse. Je lui donne un regard qu'il n'aime pas, que je n'ai jamais osé faire à cause du poid qui pesait sur mes épaules. La demoiselle remplit nos verres et le plus âgé ne tarde pas à saisir le sien pour boire une grande gorgée. Aucun de nous ne cligne des yeux ni ne faiblit face à l'autre comme un défi silencieux que l'on se lance pour mieux évacuer notre haine réciproque. Soudain, il se redresse en fermant les yeux en n'oubliant pas d'esquisser un petit sourire. Ce qui m'intrigue aussitôt d'ailleurs car il n'a jamais souris par hasard. Je ne l'ai jamais vu heureux alors les seules fois où je le vois sourire c'est lorsqu'il a une idée en tête où il est certain qu'il aura le dernier mot. Seulement, ça ne se passera pas comme ça. J'ai grandi, je ne suis plus l'enfant qu'il a connu. 

— Je te prierai d'arrêter la boxe.

  Je manque de m'étouffer, de recracher ce vin de bourgeois. Mes sourcils se froncent tandis qu'il ouvre les yeux avec froideur mais toujours le bout de ses lèvres relevées qui m'agacent. Un gloussement irrité mes oreilles, aussitôt ma tête pivote pour tomber sur Logan qui me sourit de manière hautaine.

— C'est toi enfoiré ? 

— Ne change pas de sujet, Axel ! crit soudainement mon père.

  Ma mâchoire se serre.

— Tu me prives de ce que j'aime le plus au monde et maintenant tu veux que j'arrête ce qui me permet de me défouler ? 

  C'est comme si mes yeux allaient sortir de mes orbites. Tout mon corps est en ébullition, mes doigts s'enfoncent dans mes paumes alors que mes lèvres lâchent un rictus. 

— Vous êtes vraiment des enfoirés, m’écrié-je en me levant. Tu sais quoi ? J'en ai rien à foutre de ta réputation ! Je vais faire ce que j'aime, que ça te plaise ou non !

— Axel Grenat. Assieds-toi immédiatement ! 

— Papa…Axel, murmure Logan. 

  Alors que je compte partir, dos à moi, j'entends mon père se lever de son siège. Son regard froid sur moi, il s'impose à moi comme lorsque j'étais enfant. Il cherche simplement à me dominer. 

— Tu es un Grenat, fils d'un avocat de renom. Je t'interdis de mettre en péril notre réputation pour des enfantillages. La bagarre risque de salir notre nom !

— Ah ouais ? Et si je dis ce que tu as fait subir à maman pendant dès années ? rétorqué-je froidement. 

  Aucune réponse, il se crispe et le silence vient apaiser l'ambiance. 

— Je ne suis plus l'enfant que tu as connu, je ne me laisserai plus faire par toi. Renie-moi si ça te chante, déclaré-je. Je n'ai jamais voulu être de cette famille. 

GARCE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant