Chapitre XV

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Ilona Lazykwartz

  Je n’ai pas souvenir d’avoir fermé les yeux une seule fois cette nuit. Je ne suis même pas surprise de voir des cernes qui pendent. Je grimace lorsque ma brosse se retrouve bloquée par des nœuds. Je suis exténuée et la trace de mes larmes traîne encore sous les yeux. Une douleur sur mon cuir chevelu me supplie d'arrêter. Alors j'arrête le massacre et en même temps, mon estomac me supplie de le nourrir. Et dans un calme olympien, mes jambes me traînent dans la cuisine et je me prépare mon bol de céréales mais un raclement de gorge m’arrête sur ma lancée. 

  Je n'ai pas envie de me disputer de bon matin, j’ai mal à la gorge à cause de cette nuit. Je n’ai fait qu’étouffer mes sanglots avec l’oreiller, noyé par mes larmes. D’ailleurs, il va falloir que je le lave. Ce matin, au réveil, j’avais l’impression d’avoir la tête dans une flaque d’eau, ou plutôt de larmes salées. 

  Il n’ose même pas me regarder en face. Je ne peux m'empêcher de remarquer qu’il est en train de déglutir lorsque je vois sa pomme d'Adam enchaîner sur un mouvement. Ses mains ne savent pas où se mettre non plus. Je me demande ce qui le tracasse à ce point. Il ne peut pas être gêné…si ? 

— J’ai juste été victime de tromperie, pas la peine de m’ignorer.

  Encore une fois il déglutit.

— Ton bol est déjà près.

  Je ne comprends pas ce qu’il dit jusqu’à ce qu’il me fasse un signe de la tête en direction du canapé et là, je remarque enfin ce fameux bol. D’un côté, je suis vexé. Je pouvais manger sur le comptoir, tout comme lui. Pourquoi m’éloigner autant ?

 Je m’arrête aussitôt, victime d’incompréhension. Mon bol est bien là, mais pas seul. Un verre de jus d’orange, deux tartines de beurre et tout ça sur un plateau. Lorsque je me tourne vers le canapé, une couette toute douce. Un soupire s'échappe entre mes dents qui me pincent les lèvres. S’il n’était pas là, je me donnerai une gifle pour chasser ces pensées. 

— Dit, bégayé-je. Je fais aussi pitié que ça ?

 Je n’ai pas pu m'empêcher de poser cette fameuse question qui faisait rage dans ma tête. C’est plus fort que moi. Il se comporte de manière étrange, c’est suspect. 

— Ne t’inquiète pas, ce n’est pas gratuit. 

  Bon, finalement, il n’est pas devenu gentleman en une nuit. Je l’avoue, j’y ai cru pendant quelques secondes. Cependant, je ne sais pas si je dois être soulagé de savoir qu’il n’est plus aussi bizarre ou si je dois me méfier de cet acte de gentillesse inexpliquée qui ne s’avère pas être gratuit au final. Je pense que je dois juste être déçu. 

— Rien n’est gratuit, encore moins ma gentillesse. Ce n’est pas une habitude chez moi alors soit honoré, continue-t-il fièrement.

— J’aurai préféré préparer mon petit déjeuner moi-même…

  Après m’être préparé pour aller à l’université, je le surprends encore en train de procrastiner sur son téléphone. Il est même à moitié habillé, haut de pyjama et jeans. Ça change de d’habitude où il était entièrement en tenue de nuit ou même encore en train de manger son bol de céréales. Je stress pour lui mais je passe à autre chose pour enfiler en vitesse mes baskets mais je m’arrête à la deuxième quand il m’interpelle.

—  Quoi ?

— Ton Kévin, c’était qu’un con.

  Je veux lui demander pourquoi il me dit ça mais c’est comme si je venais de perdre la voix tandis qu’il part en furie dans sa chambre. La petite voix dans ma tête me murmure de le suivre et de comprendre pourquoi il me dit ça aussi soudainement. Seulement, je ne fais même pas un pas que la raison me ramène à la réalité. Alors, je retourne sur mes pas pour me diriger vers l’université. 

  Je me repose la même question une bonne centaine de fois environ. Et en même temps, je me demande comment il va me faire payer sa gentillesse de ce matin. L’incompréhension et mes interrogations me tourmentent. Je crois que parmi tous les hommes qui existent, c’est celui que je comprends le moins. 

  Le vibreur de mon téléphone s’active et quand je lis le nom affiché, je retire ce que j’ai dit précédemment. C’est lui que je ne comprends pas. Lorsque mes souvenirs, de lui, se mélangent et s’entremêlent dans ma tête, j’ai envie de pleurer mais je m’imagine bien lui rendre la monnaie de sa pièce. Je me suis fait avoir comme une cruche. Les signes étaient pourtant clairs. Soudain, je me rappelle d’une chose qu’il m’a dit et là, un sourire s’esquisse. Tu n'as pas voulu de moi, alors je viendrai à toi pour te dire le fond de ma pensée en toute sincérité. 

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