Chapitre XXII

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Ilona Lazykwartz

J'ai chaud, comme si j'étais au bord d'un gouffre de lave. Aucune issue autour de moi, puis d'un coup, l'image de cet homme apparaît sous mes yeux. Il est face à moi, ma respiration est saccadée tandis que son rire transperce mes oreilles. Son sourire s'esquisse pour faire paraître ses rides, ses yeux lubriques qui m'observent de haut en bas. Je suis tétanisé, mon corps ne répond plus comme s'il était déjà mort. Mes yeux me brûlent et soudain, un hurlement broie mon cœur et cette vive douleur s'accentue lorsque j'assiste à la chute de cette jeune fille qui tombe dans le vide derrière ce vieillard repoussant. À mon tour, je manque de tomber quand le sol s'effondre sous mes pieds. Je regarde partout. Lui et mon corps. J'arrête de respirer quand je vois ma peau fondre. Ma respiration s'accélère, mon corps tout entier est en train de trembler alors que ma vue se trouble. Mes mains, mes jambes, mon visage, tout dégoulinent et s'écoulent sur le sol jusqu'à ce que celui-ci se brise en dizaines de fragments. Soudain, il hurle et bondit sur moi.
Je me réveille, bouillante, essoufflée avec ce rêve qui reste ancré dans ma tête. Je n'arrive pas à m'en débarrasser.
Je me lève hors de mon lit, ma gorge est sèche et mon envie de boire s'accentue de seconde en seconde. Mon corps tremble à cause du silence insoutenable. J'ai peur de ce qu'il se trouve derrière. Un long frisson me parcourt l'échine tandis que j'ouvre la porte. Je suis surprise d'entendre la télé activé et de voir sa lumière se refléter sur une silhouette. C'est bon. Je le reconnais. Mais et si ce n'est pas lui ? Je m'approche alors que je tremble.
- T'es réveillé ?
Il sursaute avant de se retourner vers moi.
- Je suis insomniaque, t'as oublié ? Affirme-t-il en reprenant son souffle.
J'acquiesce avant de m'installer à ses côtés.
- Un cauchemar ? Demande-t-il.
J'acquiesce à nouveau mais je frémis lorsque ses doigts se posent sur mes joues pour pivoter ma tête vers lui. Je croise son regard. Je dois arrêter de penser à ces bêtises. Mon imagination est trop cruelle.
- T'as encore mal ? Tu es rouge.
Je dois rougir encore plus maintenant.
- Retourne au lit, dit-il en se levant. J'arrive.
Lorsqu'il revient c'est dans ma chambre. J'arrête de bouger lorsqu'il pose sa main froide sur mon front. Je regarde mes rideaux pour patienter, esquiver sa démarche.
- Avale, m'ordonne-t-il en me donnant un médicament.
Je déglutis avant de le regarder froidement, même si je ne sais pas pourquoi. Je prends la gélule, mes mains tremblent et deviennent moites. Je n'arrive pas à me concentrer non plus lorsqu'il me regarde comme ça. Ça me perturbe. Je n'ai pas le choix, je dois le dire.
- Je ne sais pas avaler, bégayé-je.
Je n'ose pas affronter son regard. Je suis sûr qu'il prépare une plaisanterie de mauvais goût, une moquerie pour bien me mettre la honte. Demain, il en parlera sûrement à ses potes qui sont sûrement aussi immatures que lui.
- Je reviens.
Je l'ai fait fuire ou alors il est parti rire dans un coin, j'en suis sûr mais il revient aussitôt, armé d'une baguette. Puis le matelas s'affaisse lorsqu'il s'assoit sur mon lit cette fois, cette proximité, cette bulle franchie me fait flancher.
- Tiens, dit-il en me tendant un morceau de pain.
Je le prends, méfiante. Mais après ça, il s'en découpe un pour lui.
- Récupère la mie et fait une boule, m'ordonne-t-il en faisant de même. Et après, essaie d'avaler tout rond.
- Ça ne va jamais marcher, murmuré-je suspicieuse.
- Essai.
Son regard me fait frissonner, alors pour lui, j'essaie.
- Oh... c'est passé, murmuré-je étonné.
- Maintenant réessaie avec celui-là.
- Pourquoi est-il plus gros ? Demandé-je avant de déglutir à nouveau.
Son simple regard m'ordonne d'avaler alors je le fais mais je manque de m'étouffer dès la seconde où j'avale la mie. J'ai senti quelque chose de suspect.
- Je reviens.
Je regarde à l'intérieur de ma main et il y a toujours ce foutu médoc. Je souffle de soulagement mais je repère deux compartiments de médicaments vide. Lorsqu'il entre, il glousse
- T'es content ?
- Ouaip, avoue-t-il satisfait. Dors maintenant.
J'acquiesce.
Je me faufile sous ma couverture comme un escargot qui se cache dans ma maison mais je sors vite de là-dessous à cause de cette chaleur insoutenable. Je n'arrête pas de bailler seulement, lorsque je ferme les yeux, c'est cet homme âgé et ridé que je vois. Il est affreux. Moche et dégueulasse. Ça me dégoûte. Comment j'ai fait pour m'en sortir ? Je me le demande. Ah oui, je m'en souviens. Avant d'aller dans cette ruelle, j'ai envoyé un message à la police avant de filmer la scène. Je ne sais pas comment j'ai eu cette idée. Est-ce que finalement, avoir regardé Esprit criminel ou 9-1-1 avec ma mère m'aurait servi ? Ça m'étonne. J'aurai dû fuir. Non, je dois arrêter d'être égoïste. C'est égoïste ce que je dis, complètement. Je devais penser à cette fille, qui l'aurait fait sinon ? Et si elle était partie, si elle m'aurait laissé là face à cet homme et ces mains perverses ? Et si je n'avais pas envoyé ce message ? Je n'arrête pas d'y penser alors ça m'angoisse, ma poitrine se serre et je rentre le ventre à chacune de ces pensées.
Je retourne dans l'obscurité de mes paupières pour cacher la lumière bleutée de la nuit, mais je crois que le temps passe trop vite. Car lorsque j'ouvre les yeux, le soleil se lève déjà.

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