Chapitre XXXI

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Ilona Lazykwartz

  Normalement, je ne me suis pas trompé d'arrêt. Je reconnais la rue. Enfin je crois. Quand j'y suis allée avec Axel, je n'ai rien vu. J'étais focalisé sur la vitesse de sa moto. Ce n'était que la troisième fois que je montais dessus et pourtant, j'étais pas à l'aise. Si je ne me trompe pas, c'est cette ruelle. J'inspire puis expire avant d'entrer. Ce sont des éclats de rire qui m'accueillent à l'entrée. Enfin, c'est plutôt eux qui captive toute mon attention malgré les autres sportifs. Mon cœur cesse de battre quand je reconnais cette femme qui rigole avec lui. Soudain, ma poitrine commence à m'étrangler juste au moment où le regard de ce dernier se pose sur moi. J'affiche un sourire en me joignant un eux même si dans la tête, ce sont des questions qui bousculent mon esprit. Je la regarde, elle me sourit naïvement en retour. Un mince sourire timide. Mais aussitôt, c'est le brun qui décide de prendre la parole :
— Je ne savais pas que tu allais venir. T'avais l'air de me fuire ce matin…
  Je demeure silencieuse comme une carpe, dans ma tête, je ne parviens pas à former un seul mot.
— D'ailleurs, s'exclame-t-il. Je l'ai invité à venir. Comme elle a…aussi besoin d'aide, je me suis dit qu'elle pouvait venir aussi. J'aurai dû te le demander avant…
— On ne s'est pas présenté officiellement, intervient-elle finalement. Moi c'est Emma.
— Ilona, murmuré-je en serrant sa main en retour.
  Soudain, elle se pince les lèvres et aussitôt ses joues se gonflent avant que son buste ne se baisse sous mes yeux.
— Qu'est-ce que…
— Merci de m'avoir sauvé la dernière fois, me coupe-t-elle. Je sais que ça ne t'aide pas que je sois là… toi aussi ça te rappelle ce jour-là. Mais je t'en prie, laisse-moi au moins faire une séance de self défense avec Axel… je sens que ça peut m'aider.
  Mes yeux ont commencé à me piquer lorsqu'elle a évoqué cette journée, j'en ai encore les mains qui tremblent. Mais par-dessus tout, ça m'a fait bizarre d'entendre sa voix prononcer le prénom de mon colocataire. Je me rends d'ailleurs compte que je l'appelle peu par son prénom. Mon cœur se bloque comme arrêté dans le temps. Seul moi est en arrêt tandis que le monde vie de sa lumière et de sa noirceur. Je vois leur sourire, ma cage thoracique se resserre sur mon cœur qui est sur le point d'éclater. Mon colocataire me fait signe de le suivre mais je n'entends pas le son de sa voix. C'est comme si mon corps était coincé dans un bloc de verre où aucun son ne peut franchir cette barrière transparente où je peux apercevoir leur deux âmes se rapprocher tendrement. Pourquoi je n'arrive pas à trouver cette image de couple, adorable ? Je n'arrive pas à être heureuse de leur bonheur.
  De loin, je les vois s'entraîner. Mes yeux ne peuvent dériver vers autre chose. Il n'y a qu'eux et leur corps qui se rapprochent. Puis soudain je repense à ce rêve que j'ai fait cette nuit. C'était bien un mauvais signe, celui qui te dit que tu vas commencer à doucement perdre la boule dès que tu rencontreras cette personne et que tu auras conscience de ta connerie. Cette fameuse erreur que tu as déjà faite de nombreuses fois et pourtant, tu recommences. Aveuglé par tes désirs. J'en ai conscience et pourtant je ne cesse de le scruter. Arrête. Je le sais. Je dois arrêter. Car je sais que je vais chuter, flancher, m'écrouler au moindre regard. Aussi petit, insignifiant soit-il. Mon esprit demande à ma mémoire, quand ça a commencé ? Néanmoins la chose que je sais, c'est quand elle aurait dû s'arrêter. Ou plutôt, ne jamais naître. La rencontre, celle qui réunit et qui t'empêche de fuir.
— Besoin d'aide ?
  Mon corps sursaute aussitôt tandis que les battements de mon cœur s'accélèrent. Je saisis la chaîne puis me calme aussitôt lorsque je croise ce visage familier face à moi, toujours ce sourire aussi jovial que la première fois.
— Désolé si je t'ai fait peur. Promis, c'était pas voulu.
— T'inquiète, sourié-je. J'étais juste dans la bulle.
— Je comprends, dit-il en hochant de la tête.
  Il continue de me parler, de me conseiller sur ce que je dois faire mais mes pensées sont rivés sur mon colocataire qui se rapproche de cette fille qui est pourtant une inconnue. Je suis harcelé de questions qui envahissent mon esprit comme par exemple : Comment peuvent-ils sembler aussi proches alors qu'ils se connaissent à peine ? Ils ont l'air de bien rigoler. Puis soudain, ça me revient. Il est extraverti.  Il a cette facilité pour approcher les gens. Il ne s'est pas gêné pour être con le premier jour ni pour m’embarquer de force dans son appartement qui est notre. Non je ne dois pas dire ça. C'est trop gênant. Ça sonne comme “couple”. Ce n'est pas bon. Alors c'est bon, je comprends mieux pourquoi il est aussi à l'aise. Seulement j'ignore pourquoi mais ça me frustre de les voir ainsi. Cette fille me fait penser à moi lorsque j'étais adolescente, encore naïve. Je dois cesser de me pourrir l'esprit en les regardant. Je secoue la tête dans tous les sens. Cette fois j'ouvre grand les oreilles.
— Essaie comme ça, conseille-t-il.
  Je suis ses mouvements, maladroite malgré moi mais tant pis car au moins ça me donne une distraction.

~✧~

  Mes mains engouffrent mes affaires de sport dans le sac tandis que je salue furtivement Emma, sans un regard. Oh non. Je me trouve horrible. Je ne devrais pas me comporter comme ça. Elle n'a rien demandé. J'avale une gorgée d'eau avant de la ranger. Ils ont le droit d'être heureux. Je serai très heureuse qu'ils sortent ensemble mais je souhaite être invitée au mariage ! Je souris assurément dans les vestiaires vides avant de les quitter. Lorsque je passe la porte en acier, je découvre mon colocataire posé sur moto qui tourne la tête vers moi.
— Tu n'étais pas obligé de m'attendre.
— Je peux y aller alors ? Glousse-t-il.
— Hors de question, dis-je en récupérant le deuxième casque qu'il avait dans la main. C'est trop tard maintenant.
  J'enfile aussitôt le casque avant de m'asseoir, sans permission, derrière lui pour ensuite placer mes bras autour de lui. Son rictus amusé parvient à mes oreilles tandis qu'il démarre le moteur.
  Nous sommes seules sur la route, éclairées par la lueur de la lune et le vent qui nous recouvre de sa fraîcheur. Mes membres tremblent à son passage et se resserrent sur lui. Cependant, une pensée indésirable empoisonne mon esprit alors je me replace comme avant en essayant de ne pas trop me coller à lui au risque de flancher comme avant. Surtout pas comme dans le passé.
— C'était bien l'entraînement avec Emma ? Crié-je  à travers mon casque et la force du vent.
— Ouais, c'était cool. Elle est sympa !
  Sa réponse me rend muette durant tout le trajet car la seule chose que je veux faire désormais c'est m'affaler sur mes draps.

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