Chapitre III

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Ilona Lazykwartz

  Il y a des situations comme celle-ci, où je regarde simplement le vide. Je ne bouge pas, je ne fais rien et je ne pense pas. Je contemple simplement le plafond.
  Je descends les marches, accompagné de ma valise que je porte à bout de bras.
— C'est déjà l'heure de nous quitter ? Demande la réceptionniste d'un ton enjoué.
— Oui, sourié-je bêtement en arrivant au comptoir.
— Où allez-vous habiter alors ? Vous avez réussi à trouver un logement ?
— Oui, ce n'est pas loin d'ici. Je vais vivre en colocation.
— Oh ! s'exclame-t-elle. J'espère pour vous que vous serez avec de bonnes personnes. J'ai fait une coloc il y a quelques années, c'était horrible.

  Je souris malgré ma peur. Désormais, j'appréhende. Je commençais à être motivée, prête à vivre. Seulement, l'angoisse d'être chez quelqu'un revient grâce à elle. Je ne sais pas si un jour je me sentirai chez moi dans cet appartement. Aller chez les autres a toujours été gênant, stressant et terrifiant. Étant gamine, je croyais être une souris tellement je ne me sentais pas à ma place ni à l'aise. Les nouveaux décors sont synonymes de changement, ça demande de l'adaptation et donc du temps. C'est une chose que j'ai dû mal à maîtriser.
  La réceptionniste à l'uniforme, me sourit amicalement et me souhaite :
— Bonne chance et bon courage pour vos études. Si jamais il se passe quoi que ce soit, n'hésitez pas à revenir.
  J'acquiesce et sort de l'hôtel.

  Maintenant, je me demande une chose : Où vais-je poser ma valise ?
  Je la regarde, violet métallique avec des stickers de mes séries préférées et d'autres choses mignonnes. Il y a Arcane, The last of us, Violet Evergarden, Fairy tail et des habitants d'Animal Crossing. Je souris en repensant à ces séries qui ont bercé mon adolescence. Je suis, définitivement, trop attaché aux choses. C'est bien aussi pour ça que je ne souhaite pas perdre cette valise, surtout je risque de perdre mes fringues. Ce qui n'est pas pratique pour le coup. Je ne sais pas si je peux loger, ça, quelque part, juste le temps de cette journée. Je verrais sur place sinon.

  Le soleil commence à doucement apparaître. Accompagné de nuages qui forment des lignes fines, mélangé à la douce couleur violet et orangée du ciel. C'est ce paysage que j'affectionne tant quand je marche. Je me souviens du lycée, dans le bus, je les admirais. Je crois bien que c'était la seule chose de bien dans cette période. Le reste était sombre et oppressant. J'avais du mal à respirer, à vivre pleinement. 

  Je soupire et entre. Cette fois, je suis avec ma valise quand je me regarde dans la vitrine. Je sens le regard de certains étudiants. Je me murmure  à moi-même, dans le fin fond de mes pensées, que je ne dois ni les écouter ni les regarder. Je dois seulement être transparente.

  Au même moment, un autre étudiant franchit la porte. Je sursaute, j'ignore pourquoi et j'espère qu'il ne l'a pas vu. Non. À quoi bon ? On s'en moque d'être vu. C'est normal de sursauter.

  Nos yeux se croisent, je distingue ses yeux d'un bleu foncé comme l'océan déchaîné en plein orage.
— T'as bientôt fini de me regarder ?
  Je n'ai pas remarqué. J'étais noyé dans son regard. J'ai l'impression d'être la seule fautive, seulement, lui aussi me regardait. Je n'étais pas la seule aveuglé.
  De drôle de penser m'échappe. C'est comme une série de romances où les deux protagonistes s'observent pour la première fois. Je dois me ressaisir.
— Je n'étais pas là seule.
  Je ne gaspille pas ma salive. Je marche à nouveau mais, visiblement, il ne lâche pas l'affaire.
— Pourquoi tu pars à chaque fois ?
  Il me regarde comme si on se connaissait depuis longtemps. J'ai envie de rire quand j'affirme que sa tête ne me revient pas du tout. Il est très chiant, ce type.
— Et toi ? Tu vas toujours me tirer vers toi dès qu'on se voit ?
  Ma réponse le laisse en suspens. Tout comme la dernière fois. Je suis plutôt fière de moi.
  J'en profite pour partir en douce, mais je suis surprise d'entendre à nouveau sa voix dans mon dos.
— Hé ! Pourquoi tu traînes une valise ?
  Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve sa question stupide. En vérité, non, elle ne l'est pas. C'est juste que pour moi il s'agit d'une évidence. Je me mets face à lui, sans la moindre émotion affichée sur mon visage. Je n'ai pas tellement l'envie de faire apparaître quoique se soit. Même sourire c'est épuisant, autant le faire dans ma tête.
— Ça ne te regarde pas, lâché-je avant de partir.
  Je souris sans que je le veuille. Ça n'a pourtant rien d'amusant. Après tout, il m'a embêté le deuxième jour. Ce n'est qu'un mec minable aux yeux magnifiques. Rien de plus. J'ai envie de me baffer pour remettre mes idées en place, je deviens cinglé.

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  Les manhwa coréens sont ceux que je préfère parmi toutes les BD romances qui existent. Les dessins sont sublimes et l'histoire est touchante, avec une pointe d'humour. Comment détester ? Oh putain ! Il l'embrasse comme ça ? Il était froid et distant les secondes d'avant. J'aime cet effet de surprise.
  Je glousse dans mon coin seulement, une ombre sombre se défile au-dessus de moi, lentement, avec un air curieux. Des frissons parcourent ma peau et une envie soudaine de râler contre cet inconnu me prend.
— Tu lis quoi ?
  Je me retourne, en sursaut.
— Toi, tu me veux quoi ? Fiche-moi la paix.
  Il recule avec un air nonchalant.
— Du calme, je ne vais pas te bouffer.
— Tous ceux qui disent ça finissent par le faire, murmuré-je agacé. Puis, c'est bien toi qui a commencé à m'emmerder le deuxième jour.
— J'ai juste été embarqué par un pote, j'ai suivi le mouvement, rigole-t-il.
  Je lâche un rictus.
— Il existe deux types de personnes. Les suiveurs et les leaders. Tu te trouves chez les suiveurs alors ?

  Je commence à me lever. Je m'approche de lui, lentement, sans sourciller. Je me retiens de sourire et c'est fortement pénible. Lui, ne bouge pas. Alors je continue mon monologue.

— Tu fais partie de ceux qu'on appelle “mouton”. Pour moi, vous n'avez pas d'âme. Ni de conscience d'ailleurs. Vous ne faites que suivre le mouvement sans penser à vos actes, vous n'êtes que des enfants encore dans votre tête.
  Alors que je suis tout près de son visage. À seulement quelques centimètres de lui, je recule aussitôt pour me repositionner correctement. Je prends mon sac et lorsque je suis à côté de lui je lui lâche :
— Mais, ce n'est rien. Je te pardonne. Tu ne sais pas ce que tu fais après tout.
  Plus loin, je l'entend lâcher un rictus.

  Mon cœur tambourine dans ma cage thoracique, des palpitations qui ne peuvent cesser. Je n'arrive même pas à reprendre mon souffle à cause de cette bouffée d'adrénaline. J'étais tellement badass ! Je m'impressionne moi-même. Je ne suis pas narcissique. Un peu peut-être. Mais, jamais je n'aurai pensé avoir un tel répondant. D'habitude, ces remarques, je les fais dans ma tête et sous la douche lorsqu'il est déjà trop tard. Seulement là, j'étais dans l'action ! J'ai encore du mal à croire que ça s'est réellement passé. Dans ma tête, je me suis trouvée incroyable ! Mais ça se trouve, en réalité, je ressemblais à un poisson qui ne sait pas articuler. Oh et puis qui sait, peut-être que ce que je lui ai balancé n'était pas si incroyable. Seulement pour moi. Je n'ai pas d'expérience contrairement à certains. Sinon, tant pis, l'important c'est que ça me plaise à moi.

  Je sursaute d'un seul coup, j'ai été coupé dans mes pensées après mon téléphone et mes joues chauffent aussitôt. Je souris tel la Marinette que je suis et me faufile vers la sortie aussi vite que je peux.
  Mince, ça a été coupé. Mon cœur se remet à balancer de plus en plus vite. J'inspire puis expire et me décide à appuyer sur le fameux bouton.
— Allo ? Désolé de t'appeler. C'est pour te prévenir que j'ai laissé les clés sous un rocher, près de la porte.
— Comment ça ? Je vois où c'est mais-
— Je ne pourrai pas t'accueillir. Je file, j'ai un truc à faire ! Salut !
  Elle a raccroché.
  Je vais devoir rentrer toute seule dans un appart, quasi inconnu, m'installer et faire mine de me sentir chez moi. Je stresse déjà. Ça va le faire… Non, en fait pas trop mais j'ai pas le choix sinon je dois habiter dehors avec des rats, des écureuils ou des pigeons.
  Vivre seul m'a toujours dérangée. Je n'ai jamais été prête à quitter le cocon familial. Là, c'est l'hôtel que je quitte. C'était mon cocon. Cette fois-ci, je dois habiter dans un véritable appartement à entretenir. Sauf que là, je ne suis pas toute seule. Ça aussi ça m'angoisse. Je préfère me supporter plutôt que de supporter une autre personne. Ou plutôt que cette personne ait à me supporter. Je ne sais même pas si elle est gentille comme le jour où elle m'a accueillie. Peut-être que ce n'était qu'une façade. Elle a l'air gentille, mais j'ai toujours une crainte de ce qu'il peut se cacher derrière quelqu'un. Et imagine qu'elle ne me supporte pas et qu'elle me vire ? L'angoisse.

  Je me retrouve de nouveau face à cette porte. Cette fois, elle ne sera pas là pour m'accueillir. Une boule dans mon estomac commence à me peser sur le système. J'ai l'impression de ne pas être à ma place, d'envahir le cocon de quelqu'un, de m'infiltrer illégalement chez elle alors que je sais très bien qu'elle est consentante.
  Je récupère les clés, les mains tremblantes puis je prends le temps de respirer. Souris, c'est le remède miracle pour guérir.
  J'enfonce la clé dans la serrure, tourne, puis ouvre la porte qui va me mener à cette nouvelle vie et peut-être qu'elle sera meilleure que ma vie de nomade à l'hôtel.

GARCE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant