Chapitre XXXIV

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Axel Grenat

  De loin, j'aperçois sa silhouette proche de la scène qui l’observe avec attention. Ma tête pivote, seulement, je croise la démarche assurée d’Enzo qui s’avance vers elle. Mon corps avance tout seul, je ne parviens pas à le contrôler comme s’il refusait de m'obéir. Comme si une entité me possédait tout entier pour me diriger vers elle. Seulement, il me devance et c’est en soupirant que je regagne mes pas. J’aurai bien aimé m’expliquer pour ce soir. C’est étrange mais maintenant que nous sommes amis, j’ai une soudaine envie de m’ouvrir à elle. 

— Axel ? Tu peux venir voir si mon mouvement est bien fait ? 

— Oui oui, murmuré-je sans détourner mon regard du sol.

  La soirée passe vite, la lune chante déjà de son éclat d’une blancheur absolue. Je libère la nicotine de mes lèvres quand soudain les grincements de la porte résonnent dans la ruelle pour laisser sortir deux personnes qui gloussent. En croisant mon regard, elle s'arrête aussitôt la bouche entrouverte et les sourcils froncés. Elle se tourne vers le blond mais je ne parviens pas à déchiffrer sa voix, seulement, je le vois finir par acquiescer avec un faible sourire avant de gesticuler sa main comme un âne amoureux. C’est tellement niais. Mes paupières se ferment en même temps que mes lèvres inspirent l’essence de la cigarette quand soudain une main me l'arrache des doigts sans prévenir. Des faibles picotements sont venus picorer mes doigts le temps d’une seconde. J’ouvre mes paupières dans un soupir d’agacement pour croiser son regard à la fois furieux et surpris.

— Tu fumes ?

 La réponse me paraît pourtant évidente mais ses yeux remplis de curiosité me poussent à la taquiner.

— Ça t’étonne ? lui laché-je avec un rictus. Tu veux essayer ?

  Alors que j’allais inspirer une autre bouffée de nicotine, elle m'arrache la cigarette des doigts pour la placer entre ses lèvres.

— Mais t’es pas bien ? hurlé-je en bondissant hors de ma moto pour jeter la cigarette sur le bitume.

— Tu m’as pris au mot, s’étouffe-t-elle tandis que ma main tapote doucement son dos.

— C’était pour te taquiner, j’allais dire que je blaguais.

  Elle me foudroie aussitôt du regard en faisant trembler mes membres. Elle m’a prise au dépourvu. J’ignorais qu’elle allait le faire. Pour être honnête, je n’y croyais pas. Par ma faute, elle continue de tousser. Soudain, un rire s’échappe de ma bouche sans même une bande annonce pour prévenir de son arrivée. 

— Quoi ? Me lance-t-elle furieuse.

— Je ne te pensais pas aussi stupide c’est tout.

— Moi ? Pas courageuse ? 

  Son poing m’arrive en plein dans la côte alors je fais mine d’avoir mal ce qui lui donne le sourire car elle sautille partout, les bras en l’air avant de me pointer du doigt avec un sourire de vainqueur.

— Alors ? Qui est stupide maintenant ?

— C’est moi, c’est moi, répété-je en étant plus dramatique sur ma douleur inexistante.

—  C’est bon, j’ai compris, rétorque-t-elle épuisé. Arrête de faire le pitre, t’es encore plus stupide que moi.

  Elle commence à partir tandis que je parviens à m'arrêter de rire. Je l’attrape par le poignet, toujours en riant sauf que cette fois-ci, elle sourit.

—  Aller viens, on rentre, l’encouragé-je à monter sur la moto.

— D’accord, mais tu arrêtes de fumer cette merde.

  J’acquiesce tandis que je commence à démarrer, mais avant, je l’entends murmurer :

— Sérieusement ? Comment tu fais ? Le goût n’est pas terrible.

  Un sourire se dessine sur mes lèvres pendant que mes deux roues caressent le bitume de la route.

  Ses bras sont toujours serrés autour de ma taille quand on arrive en bas de l’immeuble. J’en profite pour étirer mes bras, seulement, je ne sens pas son corps bouger. Difficilement, ma taille ainsi que ma tête pivotent dans tous les sens jusqu’à ce que ma conscience me rappelle que j’ai un rétroviseur. Ses paupières sont clos et sa tête se repose sur mon dos. Ses traits de visage sont si calmes. Elle a l’air si paisible. Cependant, je ne peux pas la laisser dormir sur moi au risque qu’on passe la nuit dehors. Le son grinçant d’un moustique pousse mon corps a sursauter. Hors de question que je passe ma nuit avec ces putains d’insectes qui sifflent dans les oreilles avant de te sucer gentiment le sang pendant que tu dors. Par contre, plus je pense à la manière dont je vais m'extirper et moins je sais comment me débrouiller.  Doucement, mon corps pivote vers elle, ma jambe se place difficilement avec sa jumelle. Soudain sa tête retombe lourdement mais mes mains la rattrapent in-extermis. J’enlève la clé avant de prendre son corps dans mes bras. 

  Arrivé devant la porte de sa chambre, je dégluti. Je ne peux pas entrer sans sa permission mais je ne peux pas non plus la laisser sur le canapé. Qui sait ? Elle pourrait tomber et se prendre le pied de la table basse. Triste souvenir déjà vécu, je ne le souhaite à personne. Même pas à Enzo.  

  Je soupire avant de déglutir à nouveau pour ensuite actionner la poignée. Je tombe sur une chambre presque vide, sombre à cause de la nuit. Je la pose sur son lit avant de scruter sa chambre. On dirait que rien n’a changé, qu’elle est comme avant, avant qu’Ilona l’habite. C’est une pièce sans vie malgré qu’elle y vive. 

  Je détourne mon regard pour jeter un furtif coup d'œil sur elle avant de quitter la pièce. Son corps commence à trembler et aussitôt, je pince mes lèvres avant de céder.

  Ma porte se ferme et aussitôt mon corps part s’évanouir sur le matelas en lâchant un profond soupir. Je regarde un objet en particulier, suspendu près de mon bureau comme un trophée. Je vais devoir te ressortir demain soir et rien que d’y penser, le visage mécontent de mon père hante mon esprit. J’enfonce ma tête dans l’oreiller et hurle à plein poumons. Ma poitrine se serre quand je regarde l’objet de ma convoitise car je sais que même si je l’ai avec moi, jamais je ne pourrai l’obtenir. Ce rêve qui reste bloqué dans ma gorge sans parvenir à se libérer de l’emprise de cette cage dans laquelle il est enfermé. Bloqué par de multiples chaînes et d’un cadenas sans serrure.

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