Chapitre LXI

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Axel Grenat

  Je ne perds pas de temps. Mes jambes avancent aussi vite et plus je m'éloigne de cette maison, plus je me sens bien. Mon sourire s'élargit lorsque je rejoins ma moto et à la seconde où je démarre et que la vitesse fait palpiter mon coeur, je hurle à plein poumon jusqu'à en perdre haleine. Je lève le bras en l'air, accélère le temps de reprendre mon souffle et je crie à nouveau le sourire aux lèvres. Ça fait un bien fou. Ce poids dans mon ventre s'envole. Se fissure et s'évade dans l'air. Jamais je n'ai osé répondre à cet homme. J'y ai toujours songé mais ce poid n'a jamais pu être libéré. Il était enchaîné à moi depuis ma naissance. Il m'aura fallu dix-neuf ans de ma vie pour m'en défaire et enfin élever la voix jusqu'à la perdre. Si jamais il continue sa guerre. Ce n'est pas grave car j'ai évolué, je suis devenu plus fort alors quoiqu'il fasse je serai près à le défier pour protéger ma paix, mon bonheur, ma liberté. Tout simplement car je veux vivre sans l'être dans le passé car ça ne serait pas une vie mais plutôt un supplice.
  Je ne prends même pas la peine de prendre l'ascenseur, je gravis les escaliers à toute vitesse malgré ma respiration saccadée par l'adrénaline. Je déverrouille la chambre d'hôtel et dès que je vois Ilona, je fonce vers elle. Ses yeux s'écarquillent en me voyant surtout lorsqu'elle remarque mon sourire aussi large que celui de Monsieur Koro.
— Ça s'est bien passé ? bredouille-t-elle.
  J'acquiesce seulement je n'arrive plus à prononcer le moindre mot, je suis épuisée et mon cœur bat la chamade.
—  Je suis con-
— C'était un carnage, déclaré-je. Il est vraiment… À cran sur sa réputation mais je lui ai tenu tête.
  Elle fronce les sourcils
— C'est vrai que tu ne le connais pas, rié-je en me grattant la nuque. Mon père est l'avocat Grenat, il est très strict et déteste qu'on souille sa réputation. Il n'a jamais été un père aimant. Si tu savais comment il traite Sarah ou bien…ma mère. Tu le détesterai aussi.
  Un rictus sort de mes lèvres en dévoilant un sourire sincère tandis que mon regard est sur le sol en train de repenser à toutes sortes de choses. Déjà, ma vie, mon passé puis cette soirée et une chose qui m'a permis d'y aller.
  Sans un regard, toujours dans le vide mais toujours les mêmes lèvres esquissées. Je lui avoue en passant la main dans mes cheveux :
— Ilona… je voulais te remercier. C'est grâce à toi que j'ai pu défier mon père et cette boule au ventre que j'avais à cause de cette ordure, je ne l'ai plus. Sans toi, jamais je n'y serai allé. Grâce à toi je… j'ai la force d'oser faire ce que j'aime. Et je ne parle pas seulement de la boxe qu'il a voulu m'enlever. Je parle de la musique.
  Lorsque je la regarde, ses sourcils sont toujours froncés. Une idée folle me vient en tête seulement, je n'ai pas le temps de réfléchir que mes paumes se déposent sur ses joues. Au contact de ses lèvres, mes paupières se ferment et une douce chaleur envahit mon abdomen jusqu'à entrer en contact avec mon cœur qui saute comme un enfant sur un trampoline. Alors que je me détache de quelques sentiments, une goutte humide se pose sur mon pouce alors mes yeux s'agrandissent et mon cœur se serre. Brusquement, je m'éloigne. Ses doigts touchent ses lèvres mais elle ne réagit pas alors mon souffle se bloque
— J'ai…j'ai fait quelque chose de mal ? murmuré-je. Pardon…j'aurai pas dû. Je suis désolé…
  Soudain, elle s'éloigne de moi et prend son sac pour se précipiter vers la sortie. Mes jambes fléchissent lorsque la porte se claque mais je ne parviens pas à faire le moindre mouvement. Mes doigts se joignent à mes lèvres. Elle ne m'aime pas, c'est la phrase qui tourne en boucle dans ma tête. Et moi, est-ce que je l'aime ? Non, ce n'est pas à ça que je dois penser. Pourquoi est-elle partie ? Elle ne voulait pas de moi ? Elle…non. Je n'arrive plus à réfléchir. J'ai été trop proche, trop soudain alors elle a fui et moi, je n'arrive pas à faire le moindre mouvement pour la rattraper. J'ai le cœur qui se serre et mon ventre qui étreint mon estomac. Si seulement je pouvais bouger…

~✧~

  Mes paupières n'ont pas pu se verrouiller de la nuit, absorber, bloquer sur ce moment où elle part de la chambre d'hôtel. J'avais beau réfléchir, il n'y a aucune logique dans mes pensées. Il me faut des mots, ses paroles, sa raison pour éclairer le brouillard dans ma tête. Cette frustration est trop forte, si insupportable que rien ne peut me distraire. Que ça soit une mère qui crie sur son enfant, un chien qui aboie, les gens du bar qui éclatent de rire. Il n'y a que les gens qui s'embrassent qui parviennent à me distraire.
  Lorsque j'arrive à l'appartement, je soupire un bon coup avant de monter l'immeuble pour arriver à notre porte. Ma main se bloque à l'instant où je compte la poser sur la poignée. Je sais que si je ne bloque pas ma respiration, jamais je ne pourrais passer cette porte alors que c'est chez moi.
  Mon rythme cardiaque s'arrête aussitôt que je scrute l'appartement. Un étrange sentiment traverse ma gorge ainsi que mon estomac comme des milliers d'aiguilles qui s'enfoncent dans ma chair. Mes jambes tremblent à mesure que je m'avance. Lorsque ma tête pivote vers sa chambre, c'est comme une étincelle dans ma poitrine qui commence à brûler à nouveau. Mes mains se précipitent pour ouvrir sa porte. Si sa chambre était vide avant, cette fois-ci, elle l'est bien plus encore.

  Ilona est partie de l'appartement sans un mot ni un seul murmure, seulement cette larme comme unique parole qui a longé sa joue après que nos lèvres se soient touchées. Et même si nous sommes dans la même université, c'est comme si nous étions revenu au point de départ sous le statut d'inconnu.

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