Chapitre L

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Axel Grenat

Plus ce souvenir me hante et plus il reste ancré dans ma tête, au point où je veuille me cacher dans n'importe quelle cachette y compris la plus immonde comme les toilettes du troisième étage. L'odeur est terrible. Je vais finir par croire que ces cabines sont réservées pour la grosse commission. Sa silhouette passe au fond du couloir et malgré les étudiants qui rôdent, je la reconnais aussitôt. Les paroles de la veille ne tardent pas à refaire leur apparition. Je pince mes lèvres d'un coup en ébouriffant mes cheveux. Qu'est-ce qui m'a pris ? Je n'ai pas de raison de lui en vouloir parce qu'elle passe du temps avec Enzo. Ça ne me regarde pas alors pourquoi ça fulmine en moi. Ce sentiment est si incroyable que j'ai envie de gratter la guitare. Cependant, je ne peux pas me permettre de sécher les cours sinon il sera encore sur mon dos.
La main de Matthias passe d'un seul coup dans mes cheveux puis il s'exclame :
- Encore dans la lune ? C'est l'heure d'aller en cours.
Cette fois, c'est un cours différent alors je n'aurai pas mon regard rivé sur elle. Nous sommes désormais séparés par deux cours qui nous oppose et ce serait mentir de prétendre que ça ne me fait pas du bien. Alors qu'on entre en classe, je remarque un regard posé sur mon ami. Lorsque je détourne le regard, c'est la surprise qui se lit dans mes yeux. Aucun mot ne sort de mes lèvres, nous sommes rattrapés par nos deux corps qui franchissent nos salles respectives.
La question brûle le bout de ma langue tandis que mes yeux tentent de rester concentré sur le tableau qui me fait face avec le professeur en bas de l'estrade.
- Qu'est-ce qui se passe entre toi et Lexi ?
Je n'ai pas pu arrêter ces quelques mots. Il a fallu qu'ils sortent de ma gorge. Aucune réaction de sa part, il continue de regarder le tableau avant de soupirer et se tourner vers moi.
- Rien. Pourquoi ?
Il a beau me le dire avec assurance, je doute de ses paroles. S'il ne voit pas de problème alors peut-être bien que c'est Lexi qui a un problème avec lui. Et je la connais bien, je sais qu'elle ne dira rien. Ce n'est pas le genre de personne à se confier, c'est une solitaire. Si jamais elle doit se confier, c'est avec la cigarette qu'elle s'exprime. La fumée du cannabis qui s'échappe dans l'air sont ses murmures qu'elle n'ose pas avouer ni crier. Personne ne doit la déranger avec elle-même, car peu importe qui l'on est : elle se braquera. Seulement, savoir que c'est elle qui a probablement un problème envers Matthias me désespère. Peu importe mes paroles ou mon insistance, rien ne fera crier cette louve solitaire. La seule chose que je réponds à Matthias est donc un simple hochement de tête malgré ma frustration.
À la fin du cours magistral, ma bouche s'ouvre en grand pour bailler. Ça me fatigue de voir la nuit même si j'ai tendance à être apaisée d'habitude en la voyant envelopper le ciel de son obscurité. Normalement je devrais parcourir la route avec ma moto pour rentrer à l'appart mais en voyant la luminosité s'échapper du bas de la porte, je cesse mon projet pour entrer dans la salle. J'ai la sensation que ça fait longtemps que je ne suis pas venu ici. C'est notre sanctuaire à moi, Matthias et Lexi. La dernière fois qu'on s'est tous les trois réunis c'est en début d'année. Je lâche un petit sourire en repensant à ma conversation avec Matthias. La première fois qu'on a réagi sur Ilona. Et cette rumeur, d'ailleurs, combien de temps ça fait ? Le temps a continué sa route et cette rumeur est passée sans que je ne la vois s'estomper. Je n'ai toujours pas le mot de l'histoire. Il y a eu cette conversation avec ces deux nanas et Ilona. C'est à ce moment-là que cette insulte à raisonner dans ma tête. Garce. Je n'ai pas tellement compris pour quelle raison elles ont lâché cette insulte. J'aurai aimé voir le visage de ma colocataire, seulement, elle était dos à moi.
Je tire quelques paniers avant que la porte s'ouvre sur Lexi qui est surprise de me voir ici. Sans un mot, elle pose son sac sur le billard avant de s'installer sur l'un des sièges. Quelques minutes plus tard, elle finit par s'exprimer :
- Ça fait longtemps que tu n'es pas venu. Matthias aussi d'ailleurs. Il vient peu.
Le silence brouille encore la pièce, seulement le son du ballon parsème la salle.
- Depuis quand êtes-vous si proche, toi et elle ?
- Qui ça ?
- Tu sais de qui je parle, rétorqué-je.
Elle détourne aussitôt le regard.
- Nous ne sommes pas aussi proches que tu le penses...
- Alors pourquoi être amie avec elle ?
Je manque de me prendre le ballon quand je la vois sortir une cigarette pour la placer entre ses lèvres sans l'allumer.
- Une intuition, avoue-t-elle sans sourciller.
Au contraire, c'est moi qui hausse le sourcil. Après quelques années d'amitié, jamais je n'aurai cru qu'elle agirait sous le coup d'une intuition. Ça me rend plutôt perplexe mais après tout, pourquoi pas. Et, je ne vais pas chercher à la forcer pour obtenir plus de détails car je sais d'avance comment elle va réagir. Je me pose sur le siège d'à côté, c'est dans un silence que nous parlons. Sans voix qui s'élève dans la salle. Il y a seulement le vide qui nous entoure.
La nuit est déjà bien tombée, la clarté de la lune embaume déjà le bitume de sa forte lueur. Le moteur fulmine puis je démarre direction l'appartement. Mon casque sous mon bras, j'inspire un bon coup avant de soupirer. Ma clé en main, je déverrouille la porte avec une certaine appréhension concernant Ilona. Je dois l'admettre, ça ne me ressemble pas et ça me rend fou. Alors que mon corps franchit le seuil, mon regard scrute l'horizon. Tout est silencieux et statique. Cependant, je remarque la porte de ma colocataire qui est grande ouverte.
J'avance dans l'appartement mais soudain des ronrons viennent chatouiller mes oreilles alors je m'approche doucement du canapé jusqu'à ce que mon souffle se coupe lorsque je tombe face à ma colocataire endormie sur le canapé avec le chat endormi sur son ventre. Je déglutis alors que son t-shirt est légèrement relevé tandis que le chat descend après m'avoir repéré. En lui faisant quelques caresses, je viens de penser qu'on ne lui a toujours pas trouvé de nom. Le petit chat s'en va avec ses petites pattes pour rejoindre sa gamelle de croquette. Je me hisse debout et la première chose que je vois c'est son visage endormi. Mon regard scrute ses yeux jusqu'à ses lèvres rosées et légèrement abîmées, je déglutis lorsque mes yeux descendent plus bas mais un petit mouvement me ramène à ses yeux. Mon cœur s'arrête de battre quand ses paupières s'ouvrent lentement.

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